Alors que le mouvement antiraciste Black Lives Matter continue de secouer l’Amérique du Nord, la plus importante Église protestante canadienne s’engage à s’attaquer au racisme systémique au sein de sa structure avec, à sa tête, un pasteur noir et homosexuel aux tresses rasta. Cette approche pourrait-elle inspirer d’autres Églises? Entretien avec Michael Blair, nouveau secrétaire général de l’Église Unie du Canada.
Présence: Michael Blair, vous écrivez sur Twitter qu’il est temps de «démanteler les systèmes et les politiques publiques qui continuent d’alimenter le racisme envers les Noirs». Quel est, selon vous, le rôle des Églises dans la lutte contre le racisme?
Michael Blair: Toute Église chrétienne est un produit de la colonisation; le racisme est donc intégré en son sein. L’Église Unie du Canada n’est pas immunisée contre cela.
La doctrine de la découverte [de l’Amérique] a été utilisée pour exploiter les Premières Nations. C’est la même doctrine qui a mené à l’esclavage et, en quelque sorte, à la déshumanisation des non-Européens. La structure tout entière [de l’Église] est une structure de racisme. Je pense qu’il est vital pour les Églises de s’approprier [cet aspect de l’histoire]. Je pense aussi qu’elles doivent se confesser et se repentir des péchés qui font partie de leur histoire et qui font toujours partie de leur réalité.
Actuellement, les Églises tentent de se débarrasser du privilège blanc* et du racisme, mais elles ne sont pas encore arrivées à l’étape d’admettre qu’elles sont racistes. Je pense qu’il s’agit là d’un point de départ, cela permet d’éviter de tomber dans le piège de croire que nous n’avons rien à nous reprocher. Mais si les Églises ne s’approprient pas ce racisme, elles seront incapables de démanteler le racisme.
De quelles façons l’Église peut, selon vous, lutter contre le racisme?
Je pense que les Églises canadiennes n'ont pas de connexions avec les communautés noires. Quels sont les rêves et les défis des membres de ces communautés? Comment l’Église peut-elle être partenaire de ces communautés. D’une certaine façon, les Églises doivent devenir de plus en plus des «pôles» communautaires.
Pour aborder le potentiel racisme systémique qui peut exister dans l’Église Unie du Canada, nous allons commencer par examiner toutes nos politiques pour savoir si le racisme s’y intègre d’une quelconque façon. Nous allons étudier s’il y a des biais racistes dans la façon [d’agir] et les projets dans lesquels les ressources [financières] sont dépensées.
Nous devons aussi commencer à poser ces questions: pourquoi les personnes de couleur sont-elles absentes de notre structure? Quels sont les types de barrières que nous avons mis en place? On examine notre leadership, afin de savoir quel est le pourcentage des postes de leadership qui représente la diversité qui existe dans l’Église, et pourquoi c’est ainsi.
On examine comment certains aspects, comme le privilège blanc, se manifestent au sein de l’Église. On examine quelles sont les images utilisées pour nous représenter. Par exemple, est-ce qu’on utilise des photos avec des membres blancs?
Nous sommes aussi partenaires avec d’autres Églises canadiennes pour trouver des solutions en tant que collectif d’Églises. C’est un processus où l’on regarde comment les structures et les politiques peuvent perpétuer le racisme.
Au Canada, les peuples autochtones souffrent particulièrement de racisme systémique. L’Église Unie du Canada fait partie des institutions ayant tenu des pensionnats autochtones qui ont contribué au traumatisme intergénérationnel des communautés autochtones. De quelles façons l’Église Unie s’implique-t-elle pour réparer les torts du passé?
Nous avons reconnu les torts [du passé] envers les Premières Nations et je pense que c’était un point de départ important pour nous. L’Église a offert deux excuses aux Premières Nations, même si aucune de celles-ci n’a été acceptée. Nous avons soutenu la Déclaration des droits des peuples autochtones des Nations Unies. Nous avons une unité responsable de la réconciliation, qui est dirigée par des leaders autochtones. Cela a été une expérience intéressante, pour l’Église Unie, de travail entre nations. Nous cherchons des façons qui nous permettraient, en quelque sorte, de réparer les dommages du passé. Nous ne savons pas ce qui viendra ensuite pour les communautés autochtones… Nous sommes dans un processus de conversation.
Lors de la Commission de vérité et de réconciliation, des gens ont fait part de leurs inquiétudes sur l’appropriation de l’histoire du Canada par les nouveaux arrivants. L’Église Unie ayant des communautés de nouveaux arrivants, une collaboration pourrait être réalisée [pour cet aspect] avec les Premières Nations.
Nous sommes aussi en conversation sur la façon dont on peut faciliter la conversation entre les Premières Nations et les communautés noires. Lorsque les loyalistes et les personnes fuyant l’esclavage sur le chemin de fer clandestin (réseau de routes clandestines utilisées par les esclaves noirs américains) sont arrivés au Canada, ils ont pu survivre grâce aux communautés autochtones. Dans le présent, une relation peut-elle être construite en termes de soutien mutuel et de solidarité?
Croyez-vous que votre nomination peut faire une différence au sein des Églises canadiennes?
J’espère que ma nomination deviendra une inspiration pour d’autres nominations importantes à travers le pays et [poussera à la réflexion] sur la façon dont on invite les gens vers le leadership. À l’extérieur des communautés noires, je suis la seule personne noire dans les directions des Églises canadiennes. J’espère que ma nomination permettra une prise de conscience ou une invitation [pour d’autres Églises].
En tant qu’homme homosexuel, c’est aussi un signe d’espoir pour la communauté LGBT de reconnaître que les Églises ne sont pas «si dangereuses» et qu’il y a de l’espoir. C’est encore un défi pour les Églises qui luttent pour l’inclusion des homosexuels, mais [ma nomination] peut leur montrer qu’il n’y a rien à craindre. Les aspects de ma personnalité, je les vois certainement comme un encouragement et un appel pour les Églises.
Quelle est votre vision d’avenir pour l’Église Unie du Canada?
Je pense que nous sommes prêts pour le prochain chapitre. En 2025, l’Église Unie va célébrer son centenaire; nous aurons des communautés vibrantes. Cela ne veut pas nécessairement dire que nous aurons des communautés de 200 ou 300 personnes; cela veut dire qu’à-travers le pays, nos communautés seront des espaces où il y aura un dynamisme sur ce que signifie être un fidèle de Dieu au sein de cette génération.
[J’espère aussi] que nous serons reconnus en tant qu’Église qui expérimente et qui est dans un mode de développement à l’égard de la société. Nous expérimentons de nouvelles façons d’être une Église dans le contexte dans lequel nous sommes. On expérimente, on apprend, on construit.
[Selon ma vision], l’Église Unie sera significativement plus diverse qu’elle ne l’est actuellement. Que ce soit sur le plan linguistique, culturel ou de la couleur de peau, quand on regardera les communautés de l’Église Unie, elles refléteront la réalité canadienne.
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