Une juge de la Cour supérieure du Québec vient de déclarer que la limite des 10 personnes autorisées à entrer dans un lieu de culte s'applique, non pas à tout le bâtiment, mais bien à chacune de ses salles, à la condition qu'elles soient «desservies par un accès indépendant à la rue sans partager d'espace commun avec les autres salles».
Dans un jugement de 53 page, la juge Chantal Masse donne raison au Conseil des juifs hassidiques du Québec (CJHQ) qui estimait que les règles édictées dans un protocole sanitaire approuvé en novembre 2020 par les autorités sanitaires n'ont pas été invalidées par l'arrêté ministériel du 21 janvier 2021 qui permettait que seules 10 personnes puissent dorénavant se réunir dans les différents lieux de culte du Québec.
La juge Masse mentionne à plusieurs reprises une lettre que le Dr Horacio Arruda a acheminée à la Table interreligieuse de concertation le 25 novembre 2020. Le directeur national de santé publique y indique que, «dans les lieux de culte où les salles sont séparées et ayant chacune un accès indépendant, c'est à dire un accès à la rue sans partager d'espace commun avec les autres salles», la limite «s'applique à chaque salle».
Cette clause n’a pas été spécifiquement révoquée dans l’arrêté ministériel signé par le ministre Christian Dubé le 21 janvier 2021, observe la juge Masse. «Le moins que l'on puisse en dire, c'est que la clarté de la règle de droit applicable n'était pas au rendez-vous pendant les 4 jours qui ont suivi l'arrêté ministériel le 21 janvier 2021», lance-t-elle.
«Nous croyons que cette décision de la cour permettra à tous ceux qui sentent le besoin de prier de le faire dans des conditions acceptables», a aussitôt indiqué le Conseil des juifs hassidiques du Québec. Il assure aussi que ses membres «continueront à respecter toutes les mesures de santé publique ordonnées par les autorités».
Le samedi 23 janvier 2020, le Conseil des juifs hassidiques du Québec avait reconnu que «certains membres des communautés n'ont pas respecté les directives de la Santé publique limitant à dix le nombre de personnes pouvant être présentes en même temps dans un même lieu de culte». Tout en blâmant ces contrevenants, le CJHQ déplorait que les policiers qui ont interrompu les prières du sabbat ne savaient pas que des rassemblements simultanés de 10 personnes par salles non contiguës étaient toutefois autorisés par les autorités sanitaires. C'est cette ignorance d'un protocole dûment approuvé par le gouvernement qui les a contraints à s'adresser aux tribunaux.
Pas si clair que ça
«Il n'y aura pas de passe-droits pour aucune religion», avait martelé François Legault, le mardi 26 janvier, lors d'un point de presse sur l'évolution de la pandémie au Québec. Répondant à une question sur la présence de plus de dix personnes dans des synagogues hassidiques de Montréal durant la fin de semaine, le premier ministre avait d'abord blâmé les «fins finauds» qui cherchent à contourner les règles. «Il y a des fins finauds qui ont dit qu'il y a trois portes, trois salles. Alors ce sera trente...», avait-t-il lancé avant de déclarer que «c'est dix le maximum dans une bâtisse». Puis, répondant à une question en anglais, François Legault avait aussi reconnu qu'il y avait eu de la confusion lorsque les consignes sur la réouverture des lieux de culte ont été acheminées aux différents leaders religieux. Mais «depuis hier [le lundi 25 janvier], c'est clair», avait-il tranché.
Était-ce si clair? La juge Masse estime plutôt que «la clarté de droit applicable n'était pas au rendez-vous» lorsque le gouvernement a signé l'arrêté ministériel du 21 janvier 2021. Elle écrit que «ni le Dr. Arruda ni le gouvernement ne peuvent ignorer qu'un protocole préparé par la Table interreligieuse de concertation du Québec avait été considéré conforme aux recommandations de la santé publique le 25 novembre 2020 et que des précisions avaient été données sur la question à cette occasion».
Au paragraphe 92 de son jugement, elle indique que, puisque «rien n'étant venu indiquer dans l'arrêté ministériel du 21 janvier que les termes "lieu de culte" référaient maintenant à une adresse de façon à exclure les lieux de culte multiples situés «à une même adresse mais disposant d'entrées séparées», il faut plutôt «retenir l'interprétation administrative du 25 novembre 2020 contre le gouvernement».
Juifs, catholiques et musulmans
Les juifs hassidiques ne seront pas les seuls à obtenir le droit d'avoir deux ou plusieurs groupes de 10 fidèles dans leurs lieux de culte, à la condition d'avoir des entrées distinctes. «Le Tribunal fait droit à la demande en jugement déclaratoire des demandeurs, ce qui aura pour effet de faire bénéficier tous les croyants de l'interprétation retenue», vient d'écrire la juge Masse.
Dans sa conclusion, la juge de la Cour supérieure recommande au gouvernement, aux autorités sanitaires ainsi qu'aux groupes religieux de «repartir à zéro» et de dialoguer. «La fin de la pandémie n'est pas encore arrivée. Bien des mesures risquent encore d'être prises. Rétablir les ponts, favoriser le dialogue, rechercher l'adhésion, serait dans le meilleur intérêt de tous. Il n'est jamais trop tard pour faire table rase du passé et repartir à zéro. Peut-être que c'est là, maintenant que le présent jugement est rendu, la véritable urgence.»
«Nous espérons fortement que l'on puisse tourner la page et travailler ensemble pour combattre cette terrible maladie», lui a aussitôt répondu le Conseil des juifs hassidiques du Québec.
Un conseil au gouvernement
Le premier ministre François Legault a déclaré, au début de la crise sanitaire qu'on «construit l'avion pendant qu'il vole». Le jugement rendu aujourd'hui reprend cette image et demande au gouvernement de mieux expliquer tous les changements qu'il propose aux régles et aux mesures qu'il a déjà édictées.
«Le pilote aux commandes de l'avion québécois en construction a une tâche extrêmement difficile et complexe. Savoir quand il faut faire preuve de souplesse et quand il faut faire preuve de fermeté n'a rien d'évident.»
Toutefois, «à mesure que l'avion se construit et plus le temps passe, des contraintes s'ajoutent et l'obligation de faire preuve de cohérence s'accroît. S'il faut retourner en arrière et déconstruire une partie des règles mises en place, parce que l'évolution de la pandémie l'exige, il faut le dire clairement et l'expliquer en temps utile afin que les citoyens à qui s'appliquent soudainement de nouvelles règles comprennent exactement ce qu'ils doivent faire et que les tribunaux puissent les faire respecter.»
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