«Les archives bien sont moins visibles que les églises», admet volontiers Simon Bissonnette, le directeur général de la Fondation archives et patrimoine religieux du Grand Montréal. Mais les milliers de documents, de plans, de photographies et de livres que les communautés religieuses et les diocèses ont accumulé au fil des années, sinon des siècles, «sont tout aussi importants» que les églises, couvents et bâtiments qui les abritent.
«Mais il est urgent de s’en préoccuper», a-t-il répété lors du colloque sur les archives religieuses organisé le mercredi 28 octobre 2020 par le Conseil du patrimoine religieux du Québec (CPRQ).
David Bureau, le président du Regroupement des archivistes religieux (RAR), croit lui aussi qu’il faut agir sans attendre car des pans entiers de l’histoire du Québec se trouvent actuellement en péril.
«Il y a cinq ou dix ans, mon intervention aurait été beaucoup plus optimiste», a reconnu le président du RAR lors de ce colloque tenu en mode virtuel. «Mais cela ne sera pas le cas aujourd’hui. Nous n’avons tout simplement plus de temps.»
La crise des archives religieuses
Toutes les congrégations religieuses présentes au Québec, «sans distinction de taille, de richesse ou de visibilité, sont vieillissantes» et ces dernières années, leurs supérieurs ont été appelés à planifier leur décroissance plutôt qu’à ouvrir de nouveaux chantiers.
Même les congrégations les plus importantes numériquement doivent se résigner à «fermer des maisons et des œuvres et à veiller au déménagement de personnes très âgées, fragiles et parfois en fin de vie. Certaines font face à des poursuites judiciaires.»
«Dans de tels contextes, les archives sont loin d’être prioritaires», reconnaît David Bureau.
Pire, la pandémie actuelle, craint-il, obligera bien des institutions religieuses à prendre des décisions difficiles encore plus rapidement. Déjà, on regroupe les membres de congrégations dans «une seule résidence, souvent une maison de soins de longue durée». Des convents fermeront inévitablement «parce que les religieux n’y demeureront plus».
L’impact de ces bouleversements sur les archives des communautés se fera sentir très bientôt, estiment les archivistes religieux que représentent M. Bureau. «La fermeture de ces maisons signifie obligatoirement que les archives devront sortir, trouver un nouveau lieu, être réduites au maximum afin de minimiser les frais de transport et surtout d’entreposage», lance-t-il. Des documents anciens seront perdus à jamais ou encore dispersés à l’extérieur du Québec – ce sera le cas pour les communautés dont la maison-mère est en France ou en Italie. D’autres archives seront cédées ou vendues à des collectionneurs privés.
David Bureau ne veut surtout pas critiquer ou lancer des pierres aux communautés en évoquant de tels scénarios. «S’il faut choisir entre assurer le confort des dernières religieuses et religieux de la communauté ou préserver les archives», les congrégations vont toujours opter pour la première option. «Avec raison», convient-il.
Engagement de l’État
Le président du RAR souhaite plutôt que l’État québécois prenne ses responsabilités face aux archives religieuses aujourd’hui dispersées dans des centres diocésains et des couvents qui sont situés dans toutes les régions.
C’est aussi ce qu’espère Simon Bissonnette, le directeur général de la Fondation archives et patrimoine religieux qui travaille depuis deux ans à trouver un lieu commun où déposer les archives et les collections d’une vingtaine de congrégations religieuses de Montréal.
Il préconise d’entrer rapidement en dialogue avec le ministère de la Culture et des Communications «afin de trouver un point d’équilibre entre l’engagement de l’État et celui des communautés».
«Mais nous n’avons plus le temps des grands sommets, des grandes réflexions et des grandes politiques. Il faut passer à l’action», dit-il, tout en reconnaissant qu’il ne sera pas aisé de convaincre les décideurs d’un État laïque de se préoccuper du sort d’archives liées à la religion.
«Lors de la Révolution tranquille, les Québécois ont pris un virage» et la laïcisation de l’État est une réalité avec laquelle il faut dorénavant composer, concède-t-il.
Le défi sera donc de trouver «un équilibre entre cette laïcité et l’importance de protéger le patrimoine des communautés qui ont bâti le Québec», a-t-il proposé lors du colloque du CPRQ. De montrer finalement qu’on ne sert pas uniquement la religion lorsqu’on se préoccupe des archives religieuses du Québec. «C’est l’histoire même du Québec» que préservent les institutions religieuses.
Après tout, conclut Simon Bissonnette, «sur nos 400 ans d’histoire, les communautés religieuses en auront façonné 350».
«Il me semble que ça mérite qu’on respecte et protège leur patrimoine.»
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