Trois féministes québécoises qui ont joué un rôle important dans la lutte pour l’égalité et la justice sociale viennent d’être honorées par Postes Canada.
Toutes trois nées à Montréal, Léa Roback (1903-2000), Madeleine Parent (1918-2012) et Simonne Monet-Chartrand (1919-1993) ont consacré leur vie à la défense des droits des femmes et des travailleurs et travailleuses, ainsi qu’à d’autres causes. «Leur militantisme a été précurseur de nombreux acquis en matière d’égalité et de justice au pays», a expliqué Postes Canada en rendant publics le lundi 28 août 2023 les trois timbres au tarif du régime intérieur (0,92 $).
Simonne Monet-Chartrand
Dès les années 1930, Simonne Monet-Chartrand milite au sein de la Jeunesse étudiante catholique. Elle deviendra présidente de la branche féminine de la JEC.
Une croyante, «ses efforts en vue de moderniser l’institution de l’Église sous-tendent son engagement envers la justice sociale», indique Postes Canada.
«Ma mère n’a jamais eu peur des autorités, ni religieuses, ni policières», a déclaré son fils Alain Chartrand. En 1942, Simonne Monet a épousé Michel Chartrand qu’elle a rencontré au sein de la JEC. Le couple aura sept enfants.
Dans les années 1950 et 1960, elle sera rédactrice, recherchiste et commentatrice à Radio-Canada, notamment à l’émission d’affaires religieuses 5D, l’ancêtre de Second regard.
«Les valeurs de la démocratie, de la justice sociale et de la paix ont guidé les actions de mes parents durant toute leur existence», a aussi déclaré, lors du lancement du timbre consacré à sa mère, sa fille Hélène Chartrand-Deslauriers.
Léa Roback
Née de parents immigrants juifs polonais, la militante syndicale Léa Roback a consacré sa vie aux droits des femmes.
Sa mère dirige un moment un commerce à Beauport. La famille Roback était alors «la seule famille juive dans un village catholique», a-t-elle raconté. Et cette famille était fort bien acceptée par les gens du village, aussi pauvres qu’eux.
«Sur le plan religieux, Léa Roback ėtait très critique des religions qui, selon elle, entretenaient des préjugés à l’égard des autres», dit Lorraine Pagé, la présidente du conseil d’administration de la Fondation Léa-Roback. Cette fondation attribue depuis trente ans, des bourses d’études à des femmes engagées socialement et économiquement défavorisées. Elle a été créée en 1993, lors du 90e anniversaire de naissance de Léa Roback.
Longtemps la religion catholique, rappelle madame Pagé, «a décrit les Juifs comme étant ceux qui ont tué le Christ». Mais la syndicaliste, qui n’était pas en faveur du sionisme, «était aussi contre le mythe du peuple élu, parce que, a-t-elle déjà déclaré en entrevue, s’il y a un Bon Dieu, tout le monde est élu. Sinon, c’est Dieu qui fait du favoritisme».
En 1935, Léa Roback doit gérer à Montréal le Modern Bookshop, une librairie marxiste. «J’avais parfois la visite de l’abbé Lionel Groulx, qui achetait beaucoup. Il s’est sûrement constitué une très belle bibliothèque marxiste», a-t-elle raconté dans un livre consacré à l’histoire des communistes au Québec.
Présente lors du lancement du timbre, la neurophysiologiste Donna Mergle, sa petite-nièce, a révélé que sa tante a toujours manifesté «une curiosité envers l’autre ainsi qu’une envie d’aventure et de liberté, pas seulement pour elle, mais pour les autres aussi.» Elle a vécu en France dans les années 1920 et est allée étudier à Berlin, en Allemagne. C’est là que la jeune juive est devenue une militante communiste grâce à une de ses professeures.
Madeleine Parent
Les liens qu’entretenait Madeleine Parent avec le monde religieux auront été plus conflictuels.
La syndicaliste a régulièrement raconté que sa décision de militer auprès des travailleurs et surtout des travailleuses, elle l’a prise à l’Université McGill alors qu’elle était étudiante. Elle reconnaissait que ce «milieu ne portait pas naturellement à une telle orientation», mais les injustices dont elle avait été témoin plus jeune «au couvent, vis-à-vis des servantes», l’auront fortement marquée
«Madeleine Parent a affronté l’élite religieuse, juridique et politique alors qu’elle menait les grèves dans l’industrie du textile», ajoute Lorraine Pagé qui fut elle aussi une syndicaliste. «Accusée de communisme par Duplessis, on priait pour le salut de son âme dans les églises», a-t-elle rappelé.
Des prophètes

En 1978, Dossiers Vie ouvrière, une revue «au service des militants chrétiens du monde ouvrier», a publié un numéro complet consacré à Madeleine Parent, à Léa Roback et à l’époux de Simonne Monet-Chartrand, Michel Chartrand. Les trois syndicalistes y sont comparés à des prophètes.
«Les vrais militants ouvriers ont des traits communs qui les apparentent aux prophètes de la Bible. Même s’ils voulaient renier cette parenté, les idées-force de leur message et surtout le témoignage de leur action seraient là pour nous le rappeler. Plus encore, le sort qui leur est fait dans la société nous rappelle étrangement celui qu’on a toujours réservé aux prophètes», écrivait alors l’éditeur Paul-Émile Charland, un père oblat.
Cet ancien aumônier du mouvement syndical, aujourd’hui décédé, n’hésiterait pas à lancer aujourd’hui que ce sont des «prophètes des temps modernes» qui ornent les plus récents timbres émis par les autorités postales canadiennes.
Frédéric Hountondji a collaboré à la rédaction de ce texte.