Par leur histoire, Benoît Delassus, 25 ans, François Morel, 23 ans, et Minh Nhat Le, 28 ans, démontrent qu’il est possible de concilier une passion pour le jeu vidéo et un parcours de foi sincère. Portraits de 3 gamers chrétiens rencontrés dans le cadre de d’une causerie intitulée Chrétiens et gamers, organisée par l’Espace Benoît-Lacroix le 15 janvier.
«Une perte de temps…»
C’est le préjugé qui revient le plus souvent aux oreilles de Benoît Delassus, un expatrié français de 25 ans à la fois gamer et programmeur de jeu vidéo. Il a entendu ce commentaire de la bouche de ses parents, d’amis, de la société en générale.
En fait, le jeu vidéo constitue un des rares sujets sur lequel l’Église demeure encore aujourd’hui pleinement en phase avec l’opinion publique: la perception est généralement négative.
Pour s’en convaincre, on n’a qu’à relire les propos tenus par le pape François pendant les Journées mondiales de la jeunesse de 2016. Il avait alors mis en garde les jeunes contre le danger «de passer tout son temps sur l’ordinateur» et de s’abrutir «dans le monde des jeux vidéo». Le monde n’a pas besoin de «jeunes-divan, mais de jeunes avec des chaussures, mieux encore, chaussant des crampons». «Nous ne sommes pas venus au monde pour “végéter”… mais pour laisser notre empreinte», concluait-il.
Ce portrait d’une jeunesse qui «végète» cadre mal avec le parcours de Benoît, qui a franchi l’Atlantique pour étudier l’informatique et travailler dans le jeu vidéo à Montréal. Cela, sans négliger son parcours de foi, puisqu’il s’implique dans la Communauté de l’Emmanuel.
François Morel, 23 ans, est un autre exemple de «gamer» impliqué dans l’Église; après trois ans passés dans la communauté Famille Marie-Jeunesse, il a entrepris des études en son qui l’ont mené vers une carrière de testeur de jeu vidéo. Pendant ces études, il a été chambreur à la résidence Ignace Bourget, une communauté d’étudiants pratiquants. Musicien aguerri, il prépare en ce moment un album sur la «passion du Christ».
Minh Nhat Le, 28 ans, ne chôme pas non plus. Artiste de la modélisation 3D chez Ubisoft, il a pris part à la création de cinq jeux vidéo majeurs en 5 ans et demi. Le Vietnamien d’origine trouve toutefois le temps de s’occuper des membres du Mouvement Eucharistique des Jeunes Vietnamiens (TNTT) dans la paroisse catholique Saint-Marc à Montréal.
«Même si c’est important pour ma carrière de pouvoir vendre des millions de copies de nos jeux sur le marché, pour moi, personnellement, c’est encore plus primordial d’aider des âmes à rencontrer le Christ, d’où vient ma source de motivation pour mon engagement dans l’Église», dit-il.
Les risques du jeu
Ayant passé par toutes les phases de gamer, François concède qu’il y a bien un risque d’y perdre tout son temps et de s’isoler. «Quand j’étais jeune, j’étais no-life. Pendant les vacances, je jouais de 7 h du soir à 5 h du matin… Mon père devait couper le compteur pour que j’arrête de jouer. Par la suite, je me suis rendu compte que ce n’était pas bon que je passe autant de temps sur les jeux.»
Benoît reconnaît avoir lui aussi réduit la cadence, quand il a décidé de s’investir dans le sport et dans la Communauté de l’Emmanuel. Minh Nhat trouve que c’est «le fun» de jouer, mais il faut aussi savoir se discipliner.
En fait, les trois joueurs reconnaissent que l’industrie elle-même encourage une certaine forme de dépendance, par les stratégies de marketing qu’elles déploient. «Dans la tendance actuelle, les compagnies ont besoin de créer des extensions pour subvenir à leurs besoins, explique Minh Nhat. Le marché est très compétitif et c’est très difficile de garder l’attention des joueurs devant l’éventail de possibilités.»
«Ce n’est pas juste une question de temps, poursuit François. Il y a aussi le type de jeu. Certains sont juste trop violents pour moi du point de vue graphique.»
Les jeux qui assument le plus ouvertement leur violence sont sans aucun doute les « first-person shooter » (FPS) ou les jeux de tir en vue subjective; des jeux comme Doom ou Call of Duty, dont la mission se résume à tuer tous ceux qui se trouvent sur notre chemin.
«Il faut garder en tête qu’il n’y a rien de vrai dans ces jeux… nuance Benoît. On tue une animation virtuelle qui a été codée par un dude, rien de plus.» Dans le même souffle, le Français admet tout de même que certains jeux posent des dilemmes moraux ou éthiques. Il cite le cas de Prototype, un jeu où l’on doit propager un virus et tuer des civils. «À un certain point, je me suis dit, non… C’est trop.»
François pointe vers le site Game Church, un ministère qui s’est donné pour mission «d’apporter le message d’amour, d’espoir et de tolérance de Jésus dans la culture du jeu vidéo». En 2017, le groupe a produit une liste de 10 jeux que «Jésus aime», incluant des titres comme Rakuen, Persona 5 et Nier Automata.
Autrement, il existe tout un rayon de jeux influencés par l’histoire et l’iconographie chrétiennes (Dante’s Inferno, Diablo, Stronghold: Crusader), mais sans toujours en promouvoir les valeurs.
Une expérience humaine, malgré tout
Pourquoi continuer jouer dans de telles circonstances? Lorsqu’on est chrétien, à plus forte raison? Pour se divertir, se détendre, se changer les idées, voilà les raisons les plus souvent évoquées pendant la conversation. Benoît a l’impression de prier mieux quand il a eu ce moment de détente dans la journée.
François, lui, éprouve du plaisir à découvrir de nouveaux univers fictifs. Il apprécie les métaphores qui se déploient sous ses yeux et qui suscitent en lui une réflexion bien après le temps de jeu. «Ce n’est pas bien différent que d’écouter des séries sur Netflix…» fait-il remarquer. Il n’a pas tort: entrer dans l’univers d’un jeu vidéo, c’est un peu comme se projeter dans la vie d’un personnage d’une série télé ou d’un roman. On vit ses dilemmes par procuration.
Minh Nhat évoque l’aspect cathartique du jeu: «Les joueurs, comme tout être humain, recherchent un effet de transcendance; une soif d’infini que les chrétiens peuvent combler par l’amour de Dieu», précise-t-il. Benoit rappelle que l’homme a naturellement un «cœur guerrier». Sans doute est-ce pourquoi autant de joueurs éprouvent du plaisir à s’immerger dans des moments forts de l’histoire, que ce soit le débarquement de Normandie (Call of Duty WWII) ou la guerre de Sept Ans (Assassin’s Creed Rogue).
Le jeu vidéo peut également devenir un outil de socialisation, par les communautés virtuelles qui se créent en ligne. Les liens qui se tissent entre joueurs peuvent d’ailleurs se transporter dans le monde réel. François l’a expérimenté avec ses co-chambreurs d’Ignace Bourget, en organisant des soirées de jeu qui rassemblaient tout le monde au salon autour d’une pizza.
Minh Nhat croit pour sa part aux vertus de la gamification (ludification en français) dans l’apprentissage. Il utilise des jeux à choix multiples (Kahoot) pour les jeunes de TNTT et une application permettant d’accumuler des points à chaque bonne action (Classcraft). Ces initiatives sont-elles bien reçues dans sa communauté? «Ça dépend à qui je m’adresse. Chacun a sa vision. Le plus important pour moi, c’est que les jeunes puissent venir à Dieu. Ça, je pense que tout le monde est d’accord. Le reste, c’est juste des petits détails.»
Un équilibre à trouver
Au fil des ans, les trois gamers ont su trouver un point d’équilibre entre le jeu vidéo et leur parcours de foi. À force de réflexion et d’ajustements. Après ses études, Benoît est parti un an en Belgique pour discerner s’il était appelé à devenir prêtre. Il s’est avéré que non. Mais il a beaucoup réfléchi à la place du jeu vidéo dans sa vie.
«J’en suis venu à la conclusion que Dieu ne me demandait pas de renoncer à mon identité (de gamer) pour croire en lui et lui consacrer ma vie. Tant que Dieu est au cœur de ma vie, c’est ce qui compte.»
Minh Nhat Le, lui, avoue ne plus avoir le temps de jouer à la console depuis son entrée sur le marché du travail. «Si je joue, c’est à de petites applications comme Angry Bird ou Pokémon GO, à l’occasion… En dehors du travail, je consacre tout mon temps à l’évangélisation et à l’approfondissement de mes connaissances religieuses.»
François a lui aussi réduit ses heures, se limitant à un ou deux jeux à la fois. Quand il a pris connaissance de la déclaration du pape – celle qui invitait les jeunes à ne pas «végéter», il ne s’en est pas offusqué. «Je suis d’accord avec le terme choisi. Végéter, ce n’est pas bon. Mais jouer n’est pas mauvais non plus. C’est la nuance à faire dans l’esprit des gens.»