C’est en souriant que Frédéric Lenoir s’est présenté à une foule nombreuse composée de ses fidèles lecteurs et de curieux, au sous-sol de la librairie Paulines, à Montréal, où il était de passage la semaine dernière pour y présenter son plus récent ouvrage intitulé La puissance de la joie.
Après son livre sur le bonheur, l’auteur à succès connu pour ses ouvrages de vulgarisation religieuse ou philosophique récidive aux Éditions Fayard en s’intéressant à la joie chez les grands sages ou les philosophes, dont Tchouang-tseu, Jésus, Spinoza et Nietzsche.
Frédéric Lenoir note que les «philosophes, notamment grecs, ne parlent presque jamais de la joie».
«Les philosophes parlent du bonheur, car ils ont inventé le concept. Ils parlent du plaisir parce que la réflexion sur le bonheur est née à partir de la réflexion sur le plaisir.»
En fait, selon lui, les philosophes sont embêtés par le concept de joie!
«La joie nous tombe dessus! La joie est mystérieuse. Elle n’est pas contrôlable ni programmable», dit-il.
C’est en effectuant sa recherche sur le bonheur qu’il a pris conscience que «la grande majorité des philosophes qui se sont penchés sur le bonheur le recherchent à travers une sagesse de l’absence de trouble et de la sérénité».
«Pour ces derniers, le bonheur est identifié à la paix intérieure ce que les anciens grecs appelaient ataraxie ou absence de trouble. La clef pour être heureux consisterait à ne plus être troublé par aucune cause extérieure. Il s’agirait donc de diminuer les causes de troubles. Et quelles sont les plus grandes causes de troubles? L’affectivité et le désir. C’est là toute l’approche du bouddhisme.»
Spinoza
Loin de se reconnaître dans cette manière de penser, Frédéric Lenoir se tourne vers d’autres philosophes, dont Spinoza. Ce dernier semble avoir une grande influence sur la pensée de l’auteur puisqu’il y consacre la plus grande partie de sa présentation.
«Le premier à avoir dit des choses absolument passionnantes sur la joie, c’est Spinoza, au XVIIe siècle. Il a construit sa pensée entièrement autour de la joie. Il nous dit que, dès que l’on progresse, dès que nous nous accomplissons, dès que notre corps est bien, dès que notre puissance vitale augmente, nous sommes dans la joie. La joie, c’est l’augmentation de la puissance vitale. À l’inverse, dès que notre puissance vitale diminue, nous sommes dans la tristesse.»
D’après Frédéric Lenoir, «Spinoza définit la joie d’une manière lapidaire: c’est le passage d’une moindre à une plus grande perfection».
«C’est un passage. Nous sommes en joie dès que nous progressons. Regardez un enfant. Il arrive à faire ses premiers pas? C’est un passage. Il est dans la joie. Il dit ses premiers mots? Joie absolue! La joie accompagne le passage d’une progression. Ce n’est pas la progression qui apporte la joie, mais le passage dans une progression.»
L’auteur précise que, pour Spinoza, il y a plusieurs sortes de joie. «Il y a de vraies joies et il y a de fausses joies. Il va appeler cela les joies actives et les joies passives. Il y a des occasions où nous croyons que nous grandissons, nous croyons que nous accomplissons quelque chose de bien et donc nous ressentons de la joie. Cependant, cette joie est liée à quelque chose d’erroné. Nous faisons fausse route. Un terroriste qui a de la joie à tuer quelqu’un, il fait fausse route. C’est une joie passive. Il peut éprouver une joie sur le moment, mais s’il savait sur le moment que ce qu’il fait est mauvais, il serait dans la tristesse. Et lorsque nous sommes dans une joie passive, nous tombons tôt au tard soit dans la tristesse soit dans la haine.»
Chez Spinoza, explique Lenoir, «l’homme peut passer d’un état de tristesse à un état de joie total – il nomme cet état la béatitude – à travers la connaissance de soi, donc par la raison et la remise en ordre de nos affects. Les idées justes nous permettent aussi de corriger nos émotions».
Lenoir souligne que Spinoza a élevé très haut le concept de joie.
«Il a basé son éthique entièrement sur la joie. Il affirmait qu’il n’y a pas de morale extérieure, il n’y a ni un Dieu qui nous dit de faire ceci ou cela, ni de dix commandements, non plus qu’il y a de morale du devoir, mais qu’il faut agir en fonction de la joie active. Tout ce qui nous met dans une joie active est juste et bon. C’est un philosophe de l’immanence. C’est à l’intérieur de nous-mêmes que nous avons la réponse à une éthique de vie à travers la joie profonde, la joie active.»
Nietzsche
Outre Spinoza, Nietzsche occupe une place importante dans la recherche de Frédéric Lenoir.
«Nietzsche est un philosophe de la joie. Il est spinoziste. Il reprend l’idée de Spinoza qui veut que ce soit un travail d’auto perfectionnement, un travail d’auto analyse, de lucidité sur soi, qui nous permettre de développer la joie.» Cependant, souligne Lenoir, Nietzsche va ajouter à ce travail sur soi la notion de consentement. «La joie parfaite, dira Nietzsche, est liée au consentement. C’est parce que nous acceptons la vie telle qu’elle est que nous pouvons être dans la joie. Autrement dit, tant que nous acceptons la vie en fonction de ce qui nous arrange, nous ne pouvons pas être dans la joie. Nous aurons de petites joies, mais pas de grandes joies. Pour Nietzsche, lorsque nous disons un grand ‘oui sacré à la vie’, la récompense de la vie, c’est une joie parfaite.»
En terminant sa présentation, Frédéric Lenoir a tenu à donner une dernière indication.
«Autant la joie ne se décrète pas, autant nous pouvons créer un climat favorable à l’émergence de la joie. Je vais vous donner quelques exemples. Si nous ne sommes pas présents et attentifs, aucune joie ne peut survenir. La joie ne vient que lorsque nous sommes dans une qualité de présence. Autre exemple: la joie est liée à la gratitude. Chaque fois que nous disons merci à la vie, nous avons le cœur à la joie. Et les gens qui sont dans la gratitude sont toujours joyeux, même s’ils vivent des épreuves.»