Au Québec des milliers de statues religieuses ornent les cimetières, les sanctuaires, les églises et certains ronds-points. Elles sont comme des sentinelles rescapées d’un temps révolu. Bien que très visibles, elles passent souvent inaperçues. Certaines d’entre elles cachent pourtant une histoire oubliée qui remonte à la fin du XIXe siècle.
Qu’est-ce qui peut bien lier des statues aux cimetières Notre-Dame-de-Belmont et Saint-Charles à Québec, le calvaire du Sanctuaire du Sacré-Cœur et de Saint-Padre Pio à Montréal, le Monument de la Foi à Québec et le chemin de croix du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap à Trois-Rivières?
Elles proviennent, en tout ou en partie, de la Meuse en France.
C’est là que se trouvait le siège social de l’Union internationale artistique de Vaucouleurs, une commune associée à l’histoire de Jeanne d’Arc. Fondée en 1865, l’Union – qui s’appelait alors l’Institut catholique de Vaucouleurs – produisait des statues religieuses de divers matériaux, dont la fonte de fer. Elle a fermé ses portes en 1967.
Le Monument de la Foi, dans le Vieux-Québec. Photo du 26 mai 2013. Jeangagnon [CC BY-SA 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)]
Un patrimoine à valoriser
Fabriquées en série, ces statues ont souvent un air familier. Cependant, précise France Rémillard, elles ne sont pas toutes identiques. «Nous avons également tendance à croire que parce ce que c’est une production industrielle, produite en série, cela n’a pas de valeur artistique. Mais cela est faux!», lance la rédactrice en chef de la revue La Veille, liée à l’Écomusée de l’Au-delà.
Ce préjugé joue en leur défaveur lorsque vient le temps de les protéger. «Puisqu’on dit qu’elles sont toutes pareilles, on croit qu’il s’agit alors d’en sauver qu’un seul exemplaire», se désole l’auteure d’un article sur le sujet paru en 2018 dans La Veille.
La valeur artistique de ces statues est indéniable selon elle. Les modèles qui ont inspiré les statuaires de la compagnie sont des œuvres anciennes. Le catalogue de l’Union offre même un Christ dit de Bouchardon, un sculpteur renommé du milieu du XVIIIᵉ siècle.
Mme Rémillard précise d’ailleurs que «ce qui a popularisé la fonte en fer, ce sont les catalogues et les expositions universelles», alors en vogue. En plus des catalogues, cette experte en restauration souligne qu’il y avait également «des comptoirs qui ont été organisés. Au Québec, nous ne savons pas où ils étaient.»
Il faut donc imaginer des représentants de statues et de calvaires qui sillonnaient le Québec entier à la recherche de clients potentiels…
Ces statues en fonte de fer produites à des milliers de kilomètres du Québec se sont donc retrouvées dans des cimetières, des églises, des sanctuaires et sur certaines places publiques à partir de la décennie 1910.
Un exemplaire d’un tel catalogue est conservé au Musée McCord, à Montréal. Selon Heather McNabb, du Centre d’archives et de documentation du musée, il aurait appartenu au célèbre statuaire québécois Louis Jobin. Dans un état de conservation médiocre (malgré toutes nos précautions, les pages s’effritaient lorsqu’on y touchait, tandis que d’autres étaient carrément découpées), le catalogue demeure néanmoins un extraordinaire témoin du passé. D’après des experts en art, Jobin s’est inspiré des photographies de cette copie pour réaliser certaines de ses propres œuvres.
Du Cambodge à Napoléon 1er
La trace de l’Union internationale artistique de Vaucouleurs se retrouve un peu partout au Québec, mais aussi en des endroits inusités ailleurs dans le monde.
La réputation de l’Union, dans un contexte colonial français, aida la compagnie à exporter ses statues dans le monde entier. L’une d’elles fut même retrouvée en 2008 par des pêcheurs musulmans au milieu du fleuve Mékong au Cambodge. Elle aurait été immergée lors de la dictature des Khmers rouges afin d’éviter d’être détruite et aurait séjourné sous l’eau entre 33 et 38 ans. Aujourd’hui connue sous le nom de Notre-Dame du Mékong, elle est devenue un objet de dévotion dans le village d’Areyksat.
Selon les anciens catalogues de l’Union qui contenaient des images des statues à vendre, elle représentait à l’origine Notre-Dame de Lourdes.
Nos recherches ont également permis de déterrer une histoire rocambolesque qui prend racine dans la biographie du fils de Napoléon 1er, François-Charles-Joseph Bonaparte, surnommé l’Aiglon. Un riche banquier québécois entreprend, vers le milieu du XIXe siècle, un voyage en Italie. C’est là qu’il croise le mausolée de l’Aiglon, mort de la tuberculose en 1832. Le mausolée construit pour y déposer l’auguste dépouille restera pourtant vide. Subjugué par ce mausolée, le banquier décide de l’acquérir au prix de 50 000 $. Il sera transporté par bateau et installé au cimetière Saint-Charles à Québec. À l’origine, une statue d’une déesse grecque surplombait le monument funèbre. N’ayant pas résisté aux hivers québécois, la déesse fut remplacée par… une statue du Sacré-Cœur fabriquée par l’Union.
Nombreux exemplaires au Québec
Les statues en provenance de Vaucouleurs demeurent nombreuses au Québec et font souvent partie d’ensembles cohérents. C’est notamment le cas pour les calvaires et chemins de croix des sanctuaires de Notre-Dame-du Cap à Trois-Rivières, du Sacré-Cœur et de Saint-Padre-Pio à Montréal et de Sainte-Anne-de-Beaupré, où l’installation des personnages à taille humaine s’est échelonnée sur trente ans, c’est-à-dire de 1913 jusqu’aux années 1940.
La 14e station du chemin de croix à Sainte-Anne-de-Beaupré. Des travaux visaient à stabiliser l’ensemble. Photo du 23 juillet 2017. Présence/Philippe Vaillancourt.
Le calvaire d’Huberdeau, dans les Laurentides, voit même son histoire être recoupée avec celle de la Première Guerre mondiale puisqu’un des bateaux transportant les personnages grandeur nature a été torpillé lors de la traversée.
Mais l’Union n’offrait pas que des statues de saints ou de la Sainte Famille: elle pouvait également créer des œuvres selon les désirs des clients. C’est ce qui arriva pour la statue du père Flavien Durocher, fondateur de la paroisse Saint-Sauveur à Québec. Ou pour la représentation allégorique de la Foi, sur la Place d’Armes, à un jet de pierre du Château Frontenac à Québec.
La cathédrale de Trois-Rivières a fait l’acquisition en 1905 de 29 statues de l’Union internationale artistique pour la somme de 826 $ «rendues à quai de Trois-Rivières, fret, droits et assurance comprises» selon les mots du représentant de la compagnie au Québec.
Pour sa part, France Rémillard espère que son article, publié il y a un an, sera le déclencheur d’une prise de conscience de la part des experts. «Au moins, que l’on s’occupe de la pérennité des œuvres», lance celle qui ne désespère pas de convaincre ses collègues du bien-fondé de sa vision.
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