Une allégation d’abus sexuel visant le frère Jérôme pousse le centre d’art La Clarté-Dieu de Québec à retirer complètement le nom du célèbre peintre de ses locaux. Le nom «frère Jérôme» est enlevé de l’espace galerie de La Clarté-Dieu, tandis qu’une exposition qui devait lui être consacrée jusqu’au 26 mars a été annulée.
L’organisme réagit ainsi aux propos tenus par l’avocat Alain Arsenault dans l’émission 24/60 diffusée à l’antenne de RDI le 19 février. Appelé à commenter l’affaire Claude Jutra dans la foulée des révélations de son attirance envers les jeunes garçons, l’avocat a réagi à la présence d’un tableau du frère Jérôme dans les couloirs de Radio-Canada.
«J’ai mémoire – ça fait trois ans – d’un dossier où la personne portait plainte contre le frère Jérôme», a-t-il dit, évoquant le recours collectif contre la Congrégation de Sainte-Croix pour les abus sexuels commis au Collège Notre-Dame, à Montréal. «[La personne] a témoigné devant l’adjudicateur, et l’adjudicateur est arrivé à la conclusion que le frère Jérôme l’avait agressé sexuellement. Il a reçu une indemnisation», a-t-il poursuivi.
«J’enlève rien à ses talents artistiques, mais c’est un prédateur!», a encore ajouté l’avocat.
Le centre réagit
Dans un courriel, le président du Conseil d’administration de La Clarté-Dieu, Hugues Noël de Tilly, explique que le centre a «pris connaissance avec consternation d’une allégation d’abus sexuel sur un mineur» et «fait de nombreuses démarches pour comprendre et voir clair».
«En raison du caractère confidentiel de l’entente entérinée par les parties à un recours collectif contre certains membres de la Congrégation de Sainte-Croix, entente sanctionnée par la Cour en 2011, il nous a fallu tout de même chercher et trouver une issue qui soit juste et raisonnable», écrit-il
C’est ainsi que la décision de retirer le nom «frère Jérôme» de l’espace galerie de La Clarté-Dieu et d’annuler l’exposition Tenir bon, qui devait présenter des œuvres du frère Jérôme jusqu’au 26 mars 2016, a été prise. Une nouvelle exposition intitulée Autant donc continuer a rapidement été montée afin de remplacer celle qui était prévue.
«Compte tenu que cette divulgation s’est présentée au moment même où s’ouvrait l’exposition, il nous est apparu approprié de prendre ces mesures. Nous rappelons toutefois notre conviction que malgré les gestes présumés commis par le frère Jérôme, la valeur de son œuvre demeure. Les nombreux témoignages d’experts, d’anciens étudiants et du public entendus au fil des ans nous en assurent», maintient le président.
Joint par téléphone, le directeur du centre, l’abbé Roger Chabot, a indiqué que La Clarté-Dieu a préféré être prudent dans ce dossier. «On a voulu se donner le temps de prendre du recul», explique-t-il.
Il rappelle que l’organisme accueille des artistes, mais aussi des gens en counseling blessés par la vie. «On veut être compatissant», fait-il valoir, confirmant que la décision a été dure à prendre mais qu’elle est tout de même appuyée à l’unanimité par le Conseil d’administration.
L’espace qui portait le nom du frère Jérôme sert aussi à célébrer des messes.
L’abbé Chabot assure que la récente affaire Claude Jutra n’a pas influencé leur décision. Pour lui, le frère Jérôme demeure une personne d’exception. «Il a aidé des gens à grandir. C’est un homme qui est resté fidèle à sa vocation de religieux, d’artiste et d’enseignant. Ça a été un précurseur, un phare pour plusieurs personnes», estime-t-il.
Le directeur de La Clarté-Dieu trouve par ailleurs que l’avocat est allé «très loin» dans ses propos. Un avis que partage le père Jean-Pierre Aumont qui était supérieur provincial de la Congrégation de Sainte-Croix au moment du recours collectif visant sa communauté. La congrégation s’est engagée en 2011 à payer 18 millions $ à d’anciens élèves du Collège Notre-Dame victimes d’abus sexuels.
«Nous on pense que l’accusation n’est pas fondée et qu’elle est injustifiée. On fait les démarches présentement pour clarifier ça», a-t-il commenté.
Le père Aumont confirme que des allégations mentionnaient l’artiste religieux dans le processus, mais que je juge n’a pas retenu le nom du frère Jérôme dans son jugement. Il soutient par ailleurs que l’avocat Alain Arsenault n’a pas respecté la confidentialité de l’entente.
L’ancien supérieur provincial indique que la congrégation pourrait prendre des mesures supplémentaires sous peu dans ce dossier, sans encore préciser lesquelles.
Né en 1902 et mort en 1994, Joseph Ulric-Aimé Paradis – frère Jérôme en religion – est une figure marquante de l’art contemporain québécois. Il a fréquenté plusieurs grands artistes, dont Paul-Émile Borduas, et a enseigné pendant sept décennies à des milliers d’élèves.