Coauteure du livre intitulé The Montreal Shtetl: Making Home After the Holocaust, Zelda Abramson discute, le temps d’un café, du parcours parsemé d’embuches des survivants de la Shoah qui se sont établis à Montréal après la guerre. Ils ont connu des difficultés importantes en matière d’emploi et de logement à leur arrivée au Québec, ont-ils raconté à la sociologue, professeure à l’Acadia University de Nouvelle-Écosse. Fait troublant toutefois, les survivants reconnaissent n’avoir pas été bien accueillis par la communauté juive d’ici.
Présence: Montréal compte une grande communauté de survivants de la Shoah. Vous avez interviewé plusieurs survivants et vous leur avez demandé comment se sont passées leurs premières années au Québec. Qu’avez-vous appris?
Zelda Abramson: Cette période fut très difficile pour plusieurs. Et cela dépendait d’abord de votre statut, celui d’immigrant ou de réfugié. Les immigrants font affaire avec des agence qui les aident à s’établir dans un pays qu’ils choisissent. Les réfugiés, eux, sont forcés de quitter leurs foyers et sont envoyés vers des pays qui hébergent des personnes déplacées. Dans leur cas, tout est à reconstruire. Chez les juifs qui s’établissent à Montréal après la Deuxième Guerre mondiale, vous rencontrez ces deux scénarios.
Dans les entrevues que j’ai réalisées, j’ai vite compris que la question du logement était primordiale, cruciale même. Les survivants de l’Holocauste sont arrivés avec leurs familles. Comme ils n’étaient pas admis au Canada avant 1947, ils ont vécu, après la guerre, dans des camps de personnes déplacées. Là, ils se sont mariés et ont eu des enfants. À leur arrivée au Canada, ils formaient déjà des familles de trois ou quatre membres. Ces familles se sont établies dans le Mile End, rue Saint-Urbain et dans les environs. Toute une famille pouvait habiter dans une seule pièce d’un logement qui en comptait deux ou trois. Donc, il n’était pas rare de trouver, dans des maisons à trois étages, quelque 24 résidents.
On a conservé, de cette époque, cette image d’une période de plein emploi. C’est vrai qu’il y avait alors beaucoup d’emplois. Mais pour les nouveaux arrivants, ces emplois étaient souvent précaires. Ils étaient constamment mis à pied. Quant aux femmes, elles ne pouvaient pas aller travailler à l’extérieur car il n’y avait pas de service de garde. On m’a raconté que les familles juives devaient faire preuve d’ingéniosité pour parvenir à joindre les deux bouts. Les hommes, qui étaient souvent engagés dans des usines de textile, rapportaient du boulot à la maison.
Les survivants de la Shoah ont dû trimer dur. Ils ont réussi à amasser un peu d’argent. Leurs enfants sont allés à l’école. Plusieurs ont pu s’acheter de petites maisons. En fait, cela leur a pris en moyenne dix ans pour bien s’établir ici. J’aime dire que ces familles ont vécu une histoire qui les a menées de la misère au confort (rags-to-comfort stories).
Les survivants de la Shoah arrivent, à Montréal, dans un milieu francophone et catholique. Comme se déroule leur intégration?
Prenons l’exemple des juifs venus de France. La France, on le sait, a reçu beaucoup de gens après l’Holocauste. Des familles s’y sont établies, leurs enfants sont allés à l’école. Puis éclate la Guerre d’Indochine. Des juifs disent alors qu’ils veulent quitter le pays et s’établir le plus loin possible de l’Europe. Ils s’amènent donc ici. Ils veulent inscrire leurs enfants à l’école française, comme en France. Mais cela leur est interdit, car il n’y a pas ici de séparation entre la religion et l’État. On les envoie à l’école protestante. Ils deviennent des anglophones.
Il y avait bien quelques relations d’affaires ou commerciales entre juifs et francophones. Mais pour le reste de la vie, non, il n’y avait pas de relations entre les deux groupes. Et donc pas d’intégration. Il faut aussi savoir que les survivants de l’Holocauste se sont établis à l’ouest du boulevard Saint-Laurent, donc en milieu anglophone. Les catholiques, eux, habitaient à l’est du boulevard Saint-Laurent.
Aujourd’hui, dans le Mile End, on passe indifféremment de l’anglais au français. Mais au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, les deux langues les plus parlées dans ce quartier étaient l’anglais et le yiddish.
Et comment se fait l’intégration des survivants de la Shoah dans la communauté juive montréalaise?
Cette question est particulièrement délicate. Disons-le, ils ont rencontré beaucoup d’hostilité. Les survivants de l’Holocauste, arrivés après la guerre, n’étaient carrément pas les bienvenus. Ils n’ont pas été bien accueillis par la communauté juive. Cela a particulièrement été difficile pour les plus jeunes qui ne pouvaient pas s’intégrer avec les jeunes de la communauté déjà en place.
Comment des gens qui ont tant souffert ont-ils pu être ainsi rejetés par les juifs canadiens? J’ai longuement réfléchi à cette question. Je crois que le problème était d’ordre structurel. Le Québec était alors antisémite, le Canada n’était pas mieux avec [William Lyon] Mackenzie King qui a tout fait pour tenir jes Juifs loin du pays. Quand vous faites partie d’une nation qui ferme les yeux sur le racisme ou l’antisémitisme, vous devenez vous-même craintifs face aux nouveaux arrivants.
Une des personnes interviewées, un orphelin qui a perdu toute sa famille à Auschwitz, nous a raconté que quelques mois après son arrivée, il s’est rendu à la synagogue pour une fête juive importante. Mais on exigeait un billet d’entrée. Comme il n’en avait pas, on ne lui en a pas offert un. L’accès lui a été refusé.
Zelda Abramson et John Lynch
The Montreal Shtetl. Making Home After the Holocaust
Between the lines, 2019, 340 pages
34,95 $
***