Qu’est-ce qu’un curé désespéré serait prêt à faire pour reconquérir ses ouailles infidèles? Pourrait-il vendre son âme au diable?
C’est avec ces questions en tête qu’un jeune spécialiste du marketing, Martin Forget, a produit un court-métrage d’une vingtaine de minutes mettant en vedette Robert Lepage personnifiant un curé en crise (le père Laurent) qui se laisse séduire par les idées d’un mystérieux conseiller en publicité (Philippe Aaron). Les démarches du père Laurent auront des résultats surprenants.
Le court-métrage présenté pour la première fois l’automne dernier continue d’être soumis à divers festivals par le réalisateur. Il en propose également le visionnement à des classes d’élèves du secondaire.
«J’ai eu l’idée de produire ce film dès 2013. Dans le milieu du marketing, on se demande souvent si l’on peut vendre la religion, ou encore l’espoir, comme d’autres produits de consommation. Cette question m’interpellait, car elle est intéressante d’un point de vue publicitaire», explique Martin Forget.
Admirateur de littérature, d’art, de roman et de théâtre, le réalisateur trentenaire s’est inspiré de la thématique du célèbre Faust de Goethe.
«J’ai toujours aimé la littérature ancienne. Une des lectures qui m’a le plus marqué dans ma vie c’est le Faust de Goethe. Le thème des êtres humains qui réalisent un pacte avec le diable pour parvenir à leur fin m’a toujours fasciné. Je trouvais qu’il y avait un parallèle à faire entre Faust et la situation d’un curé désespéré par la situation dans son église. Dans mon film, la tentation vient du côté de la publicité.»
«Je ne veux pas dire que cette dernière est le diable, le mal», poursuit-il. «Par contre, c’est un univers froid, artificiel. Il peut être tentant pour une institution comme l’Église catholique d’envisager des moyens modernes et un peu artificiels pour mousser l’intérêt des gens.»
Martin Forget ne croit pas que l’Église doit pour autant rejeter le marketing et la publicité. «C’est peut-être un mal nécessaire», dit-il. Cependant, il se demande si la solution proposée par le conseiller en publicité de son court-métrage est juste.
Dans une scène du film, Philippe Aaron lance au père Laurent : «Il ne faut pas juste changer l’image de l’Église. Il faut la réinventer complètement».
Martin Forget répond lui-même à la réplique de son personnage. «Notre univers a changé au cours des 50 dernières années. Est-ce que l’Église a changé son contenu pour s’adapter aux nouvelles réalités? Probablement que non. Mon court métrage ne propose aucune solution sur comment modifier le contenu. De plus, je ne dis pas que c’est cela que l’on doit faire, car c’est sans doute l’ultime tentation du diable de tout dénaturer pour se reconstituer une nouvelle clientèle.»
Dans son court métrage Martin Forget aborde également l’utilisation des médias sociaux comme plateforme publicitaire. Sur cette question, le cinéaste est également nuancé. «Nous vivons dans une époque qui se nourrit de feux de paille dans les divertissements, dans les réflexions et dans les intérêts personnels et professionnels. Un jour, nous avons telle ou telle obsession, le lendemain nous en avons une autre. C’est de la consommation rapide.»
«Nous voulons vivre plusieurs émotions intenses, mais éphémères. Les médias sociaux ne sont pas suffisants. Cela va peut-être stimuler l’intérêt à court terme. Les gens vont aller à l’église par curiosité, mais ils vont vite passer à autre chose. C’est cela le drame. Alors, comment créer quelque chose qui ne sera pas un feu de paille?»
Afin d’approfondir davantage ces questions Martin Forget envisage de tourner un long métrage inspiré par les questions soulevées dans La divine stratégie. «Dans celui-ci, je voudrais qu’un de mes personnages puisse se demander : « Est-ce que nous pouvons tenter quelque chose au-delà du tapage publicitaire qui va être forcément nécessaire à un moment où un autre? Comment peut-on réinventer les rituels? Comment peut-on en faire une sorte de divertissement spirituel? »»
«Je dis divertissement! Il est bien là le paradoxe!», lance le cinéaste. «Est-ce que l’humilité des rituels tels que nous les connaissons a encore une place aujourd’hui? Nous constatons que les gens ne sont plus intéressés par les rituels. Est-ce qu’il y a une façon de les intéresser de nouveau? Et si l’Église essayait de se réinventer? Est-ce que cela aurait une conséquence bénéfique ou catastrophique? Ce sont des questions profondes certes, mais j’ai le goût de créer une histoire plus élaborée autour d’elles», confie Martin Forget.