La table de travail placée devant Sylvette Chanel est remplie de personnages de la crèche de différentes grandeurs. Il y a bien quelques statues de Marie et de Joseph mais ce sont surtout les figurines de l’Enfant Jésus qui sont les plus nombreuses.
Ces bébés naissants aux cheveux bouclés, enveloppés de langes et déposés sur de la paille, attirent tout particulièrement l’attention des personnes venues rencontrer cette artisane de 77 ans le dimanche 17 décembre.
Une semaine avant la fête de Noël, Sylvette Chanel explique lors d’une conférence proposée par la Maison Saint-Gabriel, un musée de Montréal, les différentes étapes de la fabrication des jésus de cire, un art que les toutes premières communautés religieuses féminines arrivées en Nouvelle-France ont longtemps pratiqué, précieusement conservé et transmis à certaines de leurs membres… de moins en moins nombreuses aujourd’hui.
L’ex-dessinatrice de mode a appris les rudiments de cette tradition auprès d’une religieuse, Sylvia Rondeau, décédée en 2013 à l’âge de 92 ans. Au milieu des années 1980, durant trois années, elle s’est régulièrement rendue à la Maison mère des Sœurs de Miséricorde de Montréal afin d’observer le travail de cette religieuse, responsable du salon de coiffure de la congrégation, qui consacrait tous ses temps libres à la fabrication de petits jésus de cire et cela depuis plusieurs décennies.
Depuis, Mme Chanel fabrique sur commande quelques centaines de figurines chaque année. «Chaque Enfant Jésus, c’est une bonne journée de travail», confie-t-elle.
Il faut alors préparer et fondre la cire d’abeille, un matériau «noble mais abordable», puis couler la cire dans un moule. Il faut ensuite démouler la figurine, enlever délicatement les surplus de cire, habiller l’enfant, préparer ses cheveux, placer son auréole, puis donner de l’éclat à ses yeux. Son instrument principal est le petit couteau que lui a donné sœur Sylvia Rondeau.
Les jésus de cire qu’elle fabrique sont présents dans de nombreuses crèches familiales et paroissiales. «Des parent me demandent encore aujourd’hui de préparer des jésus de cire pour chacun de leurs enfants, en utilisant une mèche de leurs propres cheveux quand ils étaient tout petits.» Des commerces spécialisés lui commandent aussi des figurines.
Mais chaque année, au moment de l’Avent, Sylvette Chanel est particulièrement sollicitée. Des clients catastrophés la supplient de réparer des Enfants Jésus, échappés ou manipulés avec rudesse. «Certains m’arrivent tout cassés. Je répare des bras et des jambes. Je suis le 911 des jésus de cire», lance-t-elle.
«Je fais des miracles, paraît-il», d’autant plus que certaines pièces ont été fabriquées il y a de nombreuses années. «Le temps et la lumière affectent la couleur» de chacun des jésus de cire que la médecin – parfois aussi une ingénieure, tellement certains présentent des brisures multiples – doit soigner avant qu’ils ne retrouvent leur lit de paille dans la crèche.
Spécialiste des jésus de cire, rare laïque à pratiquer ce métier d’art, Sylvette Chanel aime bien donner un sourire aux Enfants Jésus qu’elle moule. «J’essaie d’insuffler à chacun de la sérénité».
Malgré la pauvreté de Marie et de Joseph, malgré l’étonnant endroit de la naissance de Jésus – étable ou grotte, selon Matthieu ou Luc -, «j’en ai la conviction, il n’est pas né triste», dit-elle, montrant un jésus de cire aux yeux brillants qu’elle a sorti de son berceau et de son atelier.