«Regardez, nous sommes assis dans une chapelle grandiose!» Les yeux au ciel, le Sulpicien Jaroslaw Kaufmann, recteur du Grand Séminaire de Montréal, est à la fois envoûté et soulagé: le 17 novembre, le ministre de la Culture et des Communications, Luc Fortin, a annoncé le classement de la chapelle (1904-1907) en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel, reconnaissant son importance historique et l’assurant d’une préservation à long terme. Des perspectives qui enchantent le recteur.
Présence : Que représente pour vous le fait que la chapelle du Grand Séminaire de Montréal soit maintenant protégée en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel?
Jarosław Kaufmann : Le Grand Séminaire de Montréal est un édifice imposant, mais on ne s’attend pas à voir une œuvre d’une telle beauté à l’intérieur. Donc, pour nous, ce classement représente une nouvelle très intéressante. Pourquoi? Parce que cela protège cet édifice pour l’avenir. Nous savons maintenant qu’il ne revient pas seulement à nous, les Sulpiciens, de protéger cette chapelle, mais aussi au gouvernement. Par ce geste, celui-ci reconnaît que la chapelle du Grand Séminaire de Montréal est un monument dont l’importance concerne toute la population, même si elle demeure une propriété privée. On la voit maintenant comme une part de l’héritage du Québec tout entier.
Il faut être conscient de notre histoire. La chapelle fait partie de ces bâtiments qui peuvent nous faire comprendre les rêves que nos ancêtres avaient. Elle exprime également leur foi et la foi de ceux qui ont été formés ici. Cette classification est importante pour éviter que la chapelle devienne un jour une salle quelconque. En effet, elle est un héritage culturel, spirituel, religieux et catholique.
Par ailleurs, cette classification va sans doute attiser la curiosité des Québécois. Bien que nous essayions de la faire connaître au plus grand nombre, elle demeure encore méconnue. La population peut venir la découvrir lors des célébrations liturgiques et des concerts d’orgue qu’on y tient.
Présence : Cette classification arrive à point nommé puisque nous sommes à la veille du 375e anniversaire de la fondation de Montréal.
J. K. : Oui! Ce qui est bien dans un anniversaire, c’est le fait que nous prenons le temps de regarder le passé et de faire le point sur notre présent. Un anniversaire nous aide aussi à nous projeter vers l’avenir. Ce lieu n’est pas seulement une espèce de musée, une chose ancienne. C’est un lieu dans lequel il y a encore une réflexion sur le sens de la vie. Je crois qu’il est important de profiter du 375e anniversaire de Montréal pour découvrir la richesse culturelle, spirituelle et religieuse de la ville.
Présence : Justement, le ministre de la Culture et des Communications, Luc Fortin, disait, lors du 5e Forum du Conseil du patrimoine religieux du Québec, que des maires et des citoyens ne comprenaient pas toujours pourquoi il est important de protéger certains édifices religieux…
J. K. : Je suis né en Pologne. Dans mon pays d’origine, il y a un adage qui dit ceci: «Si vous voulez supprimer un peuple, supprimez son histoire!» Ces édifices sont comme la maison familiale. Il ne faut jamais oublier ce que nous y avons vécu. Ces lieux sont très importants. Ils font partie de notre identité de Montréalais. Nous pouvons être fiers de ce que nos ancêtres ont réalisé.
Présence : Croyez-vous que les Québécois aiment leur histoire?
J. K. : Je ne suis pas certain que les Québécois n’aiment pas leur histoire. Je crois plutôt qu’ils ne connaissent pas vraiment leur histoire. Ils la jugent seulement à partir de ce qu’on leur en dit. C’est dommage, car je pense qu’ils ont de quoi être fiers, même s’ils ne sont pas tous croyants ou catholiques.
Vous savez, on juge le Moyen Âge en affirmant que c’était une période de grande noirceur. À cela, je réponds: «Ah oui? Donc, il faut fermer toutes les universités puisqu’elles ont été fondées au Moyen Âge!»
Bien sûr que nous nous posons des questions sur certains agissements de nos ancêtres! Cependant, l’histoire, notre histoire, c’est notre famille, notre réalité. Jamais les Égyptiens ne diront qu’ils ont honte des pyramides! Je crois que les Québécois devraient être fiers de leur histoire au lieu de souhaiter qu’elle disparaisse.
Présence : Vous avez dit plus tôt qu’un anniversaire est l’occasion de nous projeter vers l’avenir. Quel est, selon vous, l’avenir de cette chapelle?
J. K. : Nous disons toujours qu’en Dieu nous devons discerner les signes des temps. Je pense que la diminution du nombre de séminaristes est un signe des temps. Alors, nous devons nous interroger sur les moyens qui permettront à cet édifice de jouer un rôle important au centre-ville. Nous devons nous demander comment faire en sorte que les catholiques puissent toujours avoir un lieu de formation, de rencontre et de prière. Nous devons également réfléchir sur les moyens que nous prendrons pour aider les autres membres de notre société qui sont à la recherche de lieux comme la chapelle pour se rassembler et pour écouter des œuvres musicales. Évidemment, l’avenir de ce lieu se construit aussi avec les autres dénominations chrétiennes. Cette réflexion doit se poursuivre avec l’aide de tous afin que la chapelle puisse continuer son œuvre de transmission de la foi, de l’histoire, de la culture aussi bien que du dialogue interculturel et intergénérationnel.