L’essayiste américaine Mary Eberstadt estime que le «monde occidental est présentement animé par une idéologie laïciste» au point où il serait presque devenu «dangereux» d’afficher sa foi publiquement.
C’est du moins la thèse controversée que défend Eberstadt dans son nouveau livre It’s Dangerous to Believe: Religious Freedom and Its Enemies (ndlr: il est dangereux de croire: la liberté de religion et ses ennemis).
Ex-rédactrice de discours pour le secrétaire d’État George Shultz, au sein de l’administration républicaine de Ronald Reagan, Eberstadt collabore avec divers think thanks conservateurs américains, dont la Hoover Institution. Elle dénonce les effets pervers des «idéologies sécularistes» à l’œuvre aux États-Unis et ailleurs en Occident.
Lors d’une allocution devant les membres de l’Heritage Foundation de Washington, le 28 juin, elle a déploré le fait que les États-Unis soient sur le point de franchir une «nouvelle étape » dans leur histoire. «Une vague de sécularisme s’abat désormais sur les croyants», ajoute-t-elle. «Fait inusité», note Eberstadt, cette déferlante laïciste s’accompagne désormais de «mesures punitives contre les croyants», ce qui est non seulement «injuste» mais aussi en «totale contradiction avec les règles du jeu qui prévalaient jusque-là aux États-Unis en matière de débats publics».
C’est en partie pour lutter contre cette accélération rapide des mesures laïcistes qu’Eberstadt a publié cet ouvrage. Son livre, dit-elle, s’adresse à tous les lecteurs, particulièrement ceux étant issus de milieux non-religieux. Elle espère leur faire prendre conscience des vexations subies par les croyants dans la société actuelle.
«[Ce livre] espère susciter un débat de société sur un enjeu que nul n’a encore osé aborder», affirme Eberstadt. «Nous voulons interpeller les laïcistes et les progressistes afin de leur faire prendre conscience des dérives de leur propre mouvement, lorsqu’ils font face à des interlocuteurs avec lesquels ils divergent d’opinion».
«Obamacare» et liberté de religion
Lors de sa conférence à l’Heritage Foundation, Mary Eberstadt a longuement insisté sur la discrimination dont auraient été victimes les croyants s’étant opposés à la réforme de la santé mise en place par l’administration de Barack Obama. Destinée à favoriser l’accès aux soins de santé, l’Affordable Care Act s’accompagne toutefois d’une clause contraignant la quasi-totalité des employeurs, dont plusieurs institutions catholiques, à offrir à leurs employés des polices d’assurances couvrant les coûts liés à l’achat de contraceptifs. Ce qui a suscité une levée de boucliers de divers groupes religieux américains — dont, au premier chef, les Petites Sœurs des Pauvres.
En 2013, cette congrégation religieuse a entamé une procédure judiciaire contre le gouvernement américain, conjointement avec plusieurs autres entités catholiques. Elles refusaient, au nom de la liberté de conscience, de favoriser l’accès aux moyens de contraception. Le 16 mai dernier, la Cour suprême des États-Unis a renvoyé cette cause aux tribunaux inférieurs. Il appartiendra donc à ceux-ci de déterminer si le gouvernement fédéral peut effectivement forcer des institutions religieuses à offrir à leurs employés des polices d’assurance santé qui contredisent l’enseignement de l’Église.
Selon Eberstadt, les œuvres caritatives associées à des congrégations et à des corporations religieuses font face à de la discrimination, puisqu’elles ne sauraient mettre en veilleuse leur conscience morale, ni leurs convictions religieuses les plus profondes.
Ce débat s’est récemment transposé au Québec et au Canada, autour des projets de loi provincial et fédéral sur les soins de fin de vie. Diverses coalitions des professionnels de la santé opposés à l’euthanasie et au suicide assisté ont mené des campagnes afin que le personnel soignant puisse se prévaloir du droit à l’objection de conscience et ainsi refuser d’effectuer des actes médicaux qui heurtent de plein fouet leurs convictions religieuses.
Un appel à la «civilité» et à l’engagement
En publiant son livre, Mary Eberstadt espère inoculer chez ses concitoyens une culture de la civilité afin que tous les enjeux, même les plus controversés, puissent être débattus sereinement et respectueusement sur la place publique.
Le climat d’incivilité qui prévaut actuellement a eu pour effet de marginaliser les croyants, que ce soit sur la place publique, sur le marché du travail ou dans les institutions d’enseignement, déplore-t-elle.
Cela a aussi pour effet d’inciter certains chrétiens conservateurs à se replier sur eux-mêmes, à se couper du reste de la société et à refuser de s’engager politiquement, déplore Ryan T. Anderson, chercheur à l’Heritage Foundation.
Il se réjouit donc de la publication du livre de Mary Eberstadt. L’ouvrage de sa collègue, dit-il, prend l’exact contre-pied de cette culture de l’incivilité ; il propose plutôt aux chrétiens des «stratégies» et des «propostions» afin que ceux-ci puissent «s’engager prudemment» dans les débats politiques.
Allana Haynes, Catholic News Service
Trad. et adapt. F. Barriault, pour Présence