Un voyage qui ne devait pas se passer ainsi, un livre où l’auteure ne voulait pas parler d’elle. Visiblement, le récit Je pars en Inde (Hamac) est le fruit de grands déplacements.
Physiques, d’abord, puisque l’auteure, Véronique Daudelin, a parcouru l’Inde à la recherche d’elle-même pendant quatre mois. Intérieurs, car il lui a fallu des années pour passer d’un projet initial centré sur des chroniques biographiques de gens croisés çà et là à un ouvrage écrit à la première personne. Elle s’y livre avec une remarquable franchise et expose sans filet son intimité spirituelle.
En 2010, alors âgée de 29 ans, cette comédienne en a eu assez. Celle qui a notamment travaillé pour le Cirque du Soleil voulait changer d’air, affronter son mal de vivre. Le choix de partir en Inde – quintessence du territoire habité par le spirituel aux yeux de plusieurs Occidentaux – est presque cliché, mais elle l’assume.
«J’avais de quoi à vivre là-bas. J’avais besoin d’aller loin, parce que j’étais écœurée de tout. J’étais vraiment mal. On est responsable aussi de nos blessures à quelque part. Pas de s’être fait blesser, mais si tu es blessé, responsabilise-toi dans ta blessure et occupe-t’en. C’est ce que j’ai fait», ajoute-t-elle avec un large sourire.
L’idée d’écrire un livre a germé après quelques semaines de voyage. Au départ, elle imaginait des portraits littéraires des «personnages» rencontrés au gré de ses déambulations. L’anecdote parfois rigolote devait occuper une grande place. Son premier manuscrit n’a pratiquement plus rien à voir avec le récit intimiste qu’elle propose dans son ouvrage. Sur les conseils de son éditeur, elle a accepté de plonger en elle-même et de faire face aux nombreuses questions qui ont surgi sur elle, sa vie et le monde pendant son séjour.
Elle transporte le lecteur à divers endroits. La déception des premiers jours à Delhi, l’étonnement d’être conviée au visionnement d’un documentaire québécois, Ce qu’il reste de nous, après avoir passé une journée avec des Tibétains en exil, une chevauchée périlleuse à flanc de montagne avec un chauffard, la contemplation d’une dépouille consumée sur un bûcher funéraire: autant de moments et de rencontres dont elle témoigne sans retenue de ce qu’elle ressentait, en en scrutant le sens avec insistance.
Le résultat est heureux: loin des lieux communs, son récit d’une grande authenticité témoigne sans ambages des parcours sinueux, parfois hésitants, empruntés par sa quête.
«On pourrait avoir des idées préconçues, disait le directeur des éditions du Septentrion, Gilles Herman, le soir de son lancement à Québec. Ça va parler de spiritualité, ça va être une quête initiatique. Ça va nous parler de recherche intérieure. C’est un peu ça, mais c’est surtout beaucoup autre chose.»
Véronique Daudelin admet volontiers qu’elle était à cette époque obsédée par le regard des autres. Au fil des années, sa démarche d’écriture est devenue introspective et a pris la forme d’une «longue méditation seule» au cours de laquelle elle a appris à se détacher du regard d’autrui et d’une certaine pudeur de convenance. Entre son voyage et la publication de son récit, six ans ont été nécessaires.
«Je voulais plaire, je voulais que tout le monde m’aime. Dans cette démarche d’écriture, je vais tellement loin dans l’authenticité, j’ai tellement creusé la vérité, ma vérité, que ça m’immunise complètement contre le regard des autres. Les gens peuvent en penser ce qu’ils veulent, mais moi, voici ce qui est. C’est libérateur», confie-t-elle dans un éclat de rire.
Elle prépare d’aujourd’hui un second livre sur les années qui ont suivi son voyage. Mais entretemps, Véronique Daudelin caresse le sens retrouvé, réalisant que – bien que ce ne fût pas son objectif initial – son histoire est en résonance avec la quête de sens de sa génération.
«Je vois autour de moi qu’il y a une quête de sens qui est vraiment proche de la mienne. Mais ma démarche est vraiment personnelle. Tant mieux si ça fait écho à des gens, mais je n’ai pas la prétention de dire que je suis porte-parole ou que je vais inspirer d’autres personnes. C’est vraiment un truc que j’ai fait pour moi, c’est infiniment personnel, mais j’ai l’impression que ça entre en résonance beaucoup avec ce que les gens vivent», reconnaît-elle.
Livre-témoignage d’une grande lucidité, Je pars en Inde fait le pari de transporter le lecteur dans un univers indien qui n’est pas à un paradoxe près et dans lequel le vrai côtoie le toc, l’espoir la désolation. Petit à petit, les sillons creusés par Véronique Daudelin s’offrent en miroir au vécu du spectateur, qui délaisse le jugement des premières pages pour se laisser interpeller par les questions profondes qui sommeillent en chacun.
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Véronique Daudelin
Je pars en Inde
Hamac, 2017
284 pages
24,95 $