L’exposition Sding K’awXangs – Haïda : Histoires surnaturelles présentée au Musée McCord à Montréal offre une occasion unique d’entrer dans l’intimité spirituelle d’une communauté amérindienne vivant sur l’archipel Haida Gwaii situé au nord de la côte de la Colombie-Britannique. Grâce à plus de 100 objets «rares» les visiteurs peuvent se familiariser avec la vision du monde de ce peuple pour qui le ciel et la terre sont interreliés.
«Ces histoires surnaturelles nous les retrouvons à travers leur art puisque c’est le fondement de la culture haïda. Ces derniers font d’ailleurs remonter leur origine à des êtres surnaturels qui ont émergé de l’océan», précise d’emblée la conservatrice Guislaine Lemay.
Cette spécialiste des cultures autochtones attire justement notre attention sur une ligne de temps présentée au tout début de l’exposition. «Quand vous regardez cette ligne de temps, vous constatez qu’elle a une forme un peu bizarroïde. C’est pour illustrer qu’il nous faut remonter au-delà de l’histoire connue puisque leur histoire remonte à beaucoup, beaucoup plus loin.»
D’un univers cosmique à un autre
Selon Mme Lemay, l’art haïda est très codifié. Chaque figure sculptée signifie quelque chose de très précis. «La plupart des créatures que vous voyez sur les objets sont des emblèmes. Ceux-ci relatent des histoires de rencontres entre des ancêtres et des êtres surnaturels. C’est-à-dire que les familles ont des ancêtres qui ont rencontré ces êtres surnaturels. Ceux-ci sont représentés dans ces objets. Ces histoires définissent le statut social des familles.»
Les objets d’art exposés sont souvent ornés de têtes d’ours, de castors et de corbeaux. «Ce sont des créatures surnaturelles qui sont plus générales.» Elles illustrent le monde spirituel mais également la notion de transformation qui est très présente dans la spiritualité des Haïdas. «La transformation, explique la conservatrice, est cette idée que l’on peut changer de forme et que nous pouvons traverser et voyager d’un univers cosmique à un autre. Robert Davidson [artiste canadien d’origine Haïda] le décrit très bien en disant: « Le castor quand il est dans le monde des humains il ressemble à un castor, mais quand il va dans son monde à lui, c’est-à-dire le monde cosmique des animaux, il enlève son manteau et il est comme moi. »»
À travers ces êtres spirituels «des enseignements importants sont enseignés aux enfants. Ils sont un savoir important, crucial, qui doit être raconté. Ces enseignements peuvent prendre la forme de nos contes et légendes, car ils sont racontés avec beaucoup d’humour. Il y a également des histoires qui sont plus sérieuses. Elles sont liées à des ancêtres communs, des ancêtres liés au lignage. Ce sont des histoires de paix, de guerres. Elles peuvent être liées à des évènements géologiques. Traditionnellement, on enseignait ces histoires aux jeunes qui à leur tour les racontaient. Cette tradition orale s’est perpétuée.»
Le potlatch
Une autre tradition toujours bien vivante est celle du potlatch. «C’est une fête importante qui permet de se rencontrer entre familles, entre villages et durant laquelle on va relater ces histoires. Les objets qui sont exposés dans cette section ont été utilisés lors de ces potlatchs.»
Durant ces cérémonies, la nourriture joue un rôle important. «La préparation de la nourriture et le service constituent des étapes importantes», explique Guislaine Lemay. C’est ainsi que nous avons pu voir de magnifiques mortiers et des cuillères finement sculptés. «Ce sont des objets d’une beauté extraordinaire! Ils servaient uniquement lors des potlatchs», lance la conservatrice.
Ces artéfacts sont-ils sacrés? «Ils ont leur vie», explique-t-elle. «Ils vivent puisqu’à travers la cérémonie ils ont pris vie.» Pour les Haïdas, souligne-t-elle, «rien n’est sacré et tout est sacré. C’est-à-dire que tout a un esprit. Tout a une âme. Donc ils sont vivants et, dans ce sens, ils sont sacrés. Cependant, ils peuvent être touchés et regardés. Ce sont des objets utilitaires mais dont le côté spirituel est extraordinaire. L’art et la vie ne font qu’un.» Guislaine Lemay souligne «que ce sont des objets d’art tout en étant des objets utilitaires.» Et surnaturels.
L’exposition se termine par la mise en valeur de quatre masques de cérémonies. «Ici également nous avons l’idée de la transformation. On ne se déguise pas! On devient le personnage que l’on incarne en quelque sorte. Ces masques font partie d’une série de masques portés par le danseur. Durant la danse il faut changer de masque selon la phase de la transformation et de l’histoire.» Deux des masques exposés représenteraient des personnes qui se seraient noyées ou presque noyées. «Seules les personnes apparentées à la famille peuvent les utiliser. Ces masques appartiennent tous à la même famille.»
Noël, un potlatch déguisé
Le troisième masque est la représentation contemporaine d’un masque du XIXe siècle exposé tout juste à côté. Cette réplique moderne a été conçue spécialement pour une école où l’on enseigne les traditions aux enfants. «La transmission se poursuit ainsi.»
Cette transmission a bien failli être anéantie pour toujours. «Il ne faut pas oublier, rappelle la commissaire, que la Loi sur les Indiens, votée en 1876, interdisait les potlatchs et que les objets liés au potlatch ont été confisqués.» Ironiquement, c’est le tourisme qui a aidé les Haïdas à transmettre leur tradition, puisque leurs œuvres d’art étaient très prisées, tout en contournant le génocide culturel.
Toutefois, grâce à l’esprit d’adaptation des Haïdas les potlatchs ne sont pas complètement disparus. «Si l’on dit que le potlatch a disparu, je suis d’accord avec cette affirmation mais seulement d’un point de vue officiel. On faisait d’autres cérémonies. Noël devenait une excuse pour célébrer. C’était un potlatch déguisé.»
Cette volonté de transmettre leur tradition est toujours bien présente. «Les Haïdas veulent se réapproprier, réapprendre leurs pratiques ancestrales. Il y a une énergie assez extraordinaire.»
L’exposition se poursuit jusqu’au 27 octobre.