Directeur général du Musée d’art de Joliette, Jean-François Bélisle estime que cette histoire des biens religieux de l’église Sainte-Élisabeth, offerts à l’encan puis retirés in extremis de la vente aux enchères, aura donné une bonne leçon à tout le monde.
«Quand il est question de patrimoine religieux, n’allez pas trop vite», dit-il.
Alerté le jeudi 10 septembre de la tenue de cet encan de 108 lots d’œuvres d’art, de mobilier et de vêtements liturgiques en provenance d’une église de Lanaudière qui serait bientôt cédée aux autorités municipales, le directeur général s’est rapidement entretenu avec les responsables de la paroisse et du diocèse de Joliette afin de leur présenter la valeur des pièces qu’ils offraient en vente et d’obtenir que les plus importantes soient retirées rapidement du catalogue de vente.
«Notre but n’était pas de décider quel musée obtiendrait chacune de ces œuvres mais bien de les enlever de la vente aux enchères.» Ce n’est que plus tard qu’on décidera où iront les ostensoirs, les autels et les peintures qui n’auront pas été vendues samedi, a-t-il expliqué vendredi, quelques heures après que la maison Jakibi ait accepté de retirer 14 lots offerts déjà depuis un bon moment sur le Web.
Il n’y a pas eu «de résistance de la part des gens du diocèse ou de la paroisse», ajoute-t-il. «Ils ne connaissaient tout simplement pas la valeur des pièces qu’ils avaient mises en vente.»
Et s’il y a une autre leçon à retenir, c’est de «parler aux musées avant de prendre la décision de vendre vos biens», lance M. Bélisle, dont le musée qu’il dirige est un des rares au Québec qui soit spécialisé dans le patrimoine religieux.
Un registre paroissial
Le sénateur à la retraite Serge Joyal était bien amer lorsqu’il a su, vendredi, que les biens de l’église Sainte-Élisabeth de Hongrie seraient venus à l’encan le lendemain. «Je me suis dit: on est revenu au point zéro. C’est comme s’il ne s’était rien passé depuis 50 ans», lance l’homme politique qui a cofondé en 1968 le Musée d’art de Joliette avec le père Wilfrid Corbeil, un clerc de Saint-Viateur.
M. Joyal, qui est aussi un grand collectionneur, était surtout bien peiné d’apprendre que des œuvres du copiste Yves Tessier avaient failli être mises aux enchères sans que des experts n’aient été consultés au préalable.
Pour éviter de telles situations dans l’avenir, il estime que chaque paroisse au Québec devrait se doter d’«un registre des biens qu’elle détient». Les membres du conseil de fabrique sauraient ainsi quelles pièces ils possèdent à l’intérieur de l’église et dans le presbytère ou encore qui sont entreposées au sous-sol de l’église. Déjà, en 1978, Serge Joyal avait avancé une telle idée dans un article qu’il avait publié dans la revue Vie des Arts à l’occasion d’une exposition sur les trésors des fabriques du diocèse de Joliette.
Mais une telle mesure ne serait peut-être plus suffisante aujourd’hui alors que tant d’églises s’interrogent sur leur propre avenir, dit-il.
Il reconnaît volontiers que les gens élus au conseil de fabrique «sont très bien intentionnés». Mais ils doivent plus que jamais affronter des problèmes financiers importants. «Leur premier objectif, c’est d’essayer de payer les comptes de chauffage et d’électricité et d’effectuer les réparations minimales pour éviter que tout ne s’écroule». Et ces bénévoles, observe-t-il, manquent de formation sur la valeur des biens dont ils ont la responsabilité. «S’il faut faire leur éducation chaque deux ans, on n’y arrivera jamais. On va en échapper dans le filet, j’en ai bien peur», lance Serge Joyal.
Politique diocésaine
Il suggère alors de se tourner vers les diocèses. «Ils doivent adopter une politique très précise de gestion des œuvres d’art des fabriques.» Un tel règlement diocésain sur les obligations des administrateurs paroissiaux préciserait qu’«avant de se défaire d’œuvres d’art, ils devront obtenir l’autorisation du diocèse, qui est le détenteur ultime des droits de propriété». Il se réjouit que dans l’archidiocèse de Montréal, avant de vendre une œuvre, on doit d’abord l’offrir à des musées. «Et quand le couvent des Sœurs grises de Montréal a fermé ses portes, les religieuses ont contacté le Musée national des beaux-arts du Québec et le Musée des beaux-arts de Montréal et leur ont offert leurs objets afin qu’ils soient intégrés à leur collection permanente.»
L’objectif ultime de ces différentes procédures, c’est d’éviter la dispersion, sinon la disparition de l’art sacré et du patrimoine religieux.
«La situation qu’on a connue à Sainte-Élisabeth pourrait se répéter ailleurs», répète l’homme politique, puisqu’il reconnaît que «dans toutes les confessions, la situation des églises est très précaire.»
«Les générations se suivent, les évêques changent, les responsables religieux changent aussi. Tous ne sont pas informés également de leurs responsabilités à l’égard du patrimoine. Et il y a même cette opinion qui prévaut dans certains milieux du clergé que leur responsabilité, c’est celle des âmes, et non pas le patrimoine.»
«Je ne vais pas leur jeter la pierre», dit-il. «Mais on doit, il me semble, être en mesure d’apporter des solutions rationnelles à cette situation.»
Il y a 15 ans, Serge Joyal déposait un mémoire sur le patrimoine religieux devant les membres de la Commission de la culture de l’Assemblée nationale.
«Vous allez me demander ce qui a changé depuis 35 ans, époque où il m’est apparu, entre guillemets, ‘criminel’ pour un peuple de laisser ainsi aller sa mémoire et son histoire sans presque bouger le petit doigt», témoignait-il le 29 septembre 2005. «Ma réponse toute simple: pas grand-chose.»
«Je pourrais faire la même affirmation aujourd’hui», regrette-t-il.
***