Auteure de romans et d’essais pour enfants et adolescents, Monique Polak est fille de survivants de la Shoah. Elle a enseigné 35 ans au Collège Marianapolis à Montréal. En parallèle, elle a été journaliste pigiste et chroniqueuse à l’émission radiophonique Plus on est de fous, plus on lit sur les ondes de Radio-Canada. À l’automne 2022, paraissait le roman Vois tout ce qu’il te reste (Septentrion), la version francophone de What World is Left publié en 2008. Monique Polak s’est inspirée de l’expérience de sa propre mère dans le camp de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie. Présence l’a rencontrée dans un petit café de Westmount où elle vit avec son mari.
«Ma mère a vécu deux années dans le camp de concentration Theresienstadt. Elle s’appelait Celien Spier. Tout comme mon père, elle est née aux Pays-Bas. Pendant 60 ans, ma mère a gardé le silence sur cet épisode de sa vie. J’ai été élevée avec un secret dans la famille!»
Contrairement à son frère et à sa sœur, tous deux avocats, Monique Polak a très souvent questionné sa mère à ce sujet. «Je lui demandais : « Maman, qu’est-ce qui s’est passé dans le camp? » Chaque fois que je lui posais cette question, elle prétendait avoir mal à la tête ou à l’estomac.»
Malgré la ferme volonté de sa mère de ne pas parler de son expérience traumatisante, la petite Monique suspectait qu’elle avait vécu quelque chose d’horrible. «J’ai souvent entendu de la bouche de ma mère le mot camp. Lorsqu’elle le disait, elle le chuchotait. Je savais, même enfant, qu’il ne s’agissait pas d’un camp de vacances.»
Tout ce qu’elle savait de cette terrible période se résumait au fait que sa mère avait été prisonnière de Theresienstadt en compagnie de ses parents. Les deux ont miraculeusement survécu. Toutefois, ni son grand-père ni sa grand-mère ne se sont confiés à leur petite-fille.
Plus tard, devenue professeure, Monique Polak, enseigne la Shoah au Collège Marianapolis. Son désir d’en savoir davantage sur l’histoire personnelle de sa mère devient alors une obsession. L’écrivaine en elle veut à tout prix percer le mystère.
Prisoner of Paradise
C’est grâce au coup de pouce du hasard qu’elle y arrive.
«Je visionnais le documentaire Prisoner of Paradise, du réalisateur britannico-canadien Malcolm Clarke, dans lequel il diffuse des extraits d’un film de propagande sur le camp Theresienstadt. Puis, tout d’un coup, je reconnais mes grands-parents. Ils assistaient à un concert dans le camp. Ils avaient la quarantaine. Ce qui m’a frappé, ce sont leurs yeux. Ils étaient morts!»
Elle décide alors d’inviter le réalisateur chez elle et lui présente sa mère. Au cours de la soirée, Monique Polak lui confie que sa mère n’arrive pas à raconter son histoire. «Malcom Clarke a dit à ma mère : « Il faut que tu racontes ton histoire à ta fille. Et toi Monique, il faut que tu écrives son histoire ».»
C’est ainsi que l’auteure a été en mesure d’écrire Vois ce qu’il te reste, dont le titre est tiré d’un poème du poète allemand Christian Johann Heinrich Heine. «Il s’agit d’une fiction. Ma mère l’a très bien compris. En 2017, alors qu’elle était à l’hôpital, elle le gardait près d’elle sur sa table de chevet. Elle ne voulait pas s’en séparer.»
La version originale du livre, What World is Left, est traduite en plusieurs langues. «Lorsqu’il est sorti aux Pays-Bas, nous y sommes allés. Ma mère a été reçue comme une vedette. Elle est passée à la télévision. Elle était dans les journaux. Nous avons visité la maison d’Anne Frank et le Hollandsche Schouwburg (le Théâtre de Hollande) d’où les juifs ont été déportés vers les camps. Nous avons été invités dans les écoles. Ma mère disait aux élèves de toujours garder l’espoir : « C’est la seule chose que les nazis n’ont pas prise. Ils ont pris nos maisons, nos familles, nos amis, tout, tout, tout! Mais ils n’ont pas pris notre espoir. »»
En écoutant parler Monique Polak, nul ne peut se douter que sa vie avec sa mère, atteinte d’un trouble de santé mentale, n’a pas été facile. «Sa maladie m’a beaucoup affectée. Je savais qu’il y avait quelque chose de pas normal dans son comportement. Malgré tout, la vie n’était pas triste à la maison. Quand ma mère allait bien, elle était fantastique. Elle était une merveilleuse conteuse. Son témoignage m’a permis de lui pardonner.»
La Shoah dans les écoles
Aujourd’hui, jeune retraitée de l’enseignement, elle désire plus que tout poursuivre sa carrière d’auteure. Elle envisage d’écrire sur l’antisémitisme qui est encore trop souvent d’actualité. Elle souhaite également poursuivre ses rencontres avec ses jeunes lecteurs. Avec eux, elle n’hésite pas à aborder le thème de la Shoah.
«Il y a deux semaines, j’étais dans une école à Beauport. J’ai demandé aux élèves du secondaire 3 et 4 combien d’entre eux avaient entendu parler d’Anne Frank. Sur une classe de 35 élèves, il y en avait cinq qui levaient la main. Pour les jeunes, six millions de personnes assassinées, cela ne veut rien dire. Par contre, si je raconte l’histoire d’une jeune adolescente dans un camp de concentration, là je vais les intéresser. C’est la petite histoire qui les intéresse, pas la grande.»
Monique Polak croit cependant que l’on n’enseigne pas assez la Shoah dans les écoles. «Cela dépend des professeurs. Le Musée de l’Holocauste Montréal a mis sur pied des programmes pour les professeurs. Je remarque que du côté francophone, il y a un très grand intérêt pour la Shoah, beaucoup plus que du côté anglophone.»
Malgré qu’elle soit la fille de survivants de la Shoah, Monique Polak porte un regard bienveillant sur le monde. «J’ai foi en l’humanité. Je crois en la force des récits. J’ai foi en la relation entre les hommes. Je crois aussi aux enfants. Cela me vient de ma mère. Elle adorait le monde et la poésie. Elle m’a légué quelque chose de fantastique!»