Au Québec, comme dans de nombreux pays occidentaux, une partie de la gauche et de la droite alimentent un discours polarisant qui est à la source de bien des malentendus. C’est pour sortir de cette impasse que deux spécialistes de l’islam ont publié l’ouvrage Islam et islamisme. Éléments pour un dialogue (Les Presses de l’Université de Montréal). Présence a rencontré Rachad Antonius, un des auteurs.
Rachad Antonius, professeur associé à l’UQAM, en est convaincu : le dialogue sur l’islam et l’islamisme doit se réaliser en tenant compte de l’Histoire.
«L’Histoire est importante parce que la plupart des penseurs musulmans et des acteurs politiques y reviennent. Il est donc important de la connaître un peu.»
Ce détour historique est également essentiel selon lui pour bien saisir l’origine de l’islamisme. «Le moment présent dans le monde musulman, depuis les cinquante dernières années, est une rupture. Une rupture qui est sur le point de se terminer. Il faut comprendre que ce que l’on voit du comportement des musulmans ce n’est pas le propre de l’islam, mais propre à l’islamisme qui est un courant politique récent, une rupture. Il faut différencier islam et islamisme.»
Salafisme
Dans leur ouvrage, les deux auteurs font une place importante au salafisme. «C’est un courant qui a une attitude sectaire. Il faut se préoccuper de ce courant. Il faut le comprendre. Pourquoi? Parce que cela nous permet de mieux nous positionner quand il y a des enjeux, des décisions politiques à prendre», avance Rachad Antonius.
Au Québec, ce courant peut à la longue faire naître des difficultés qui rendront le vivre ensemble un peu plus difficile, croit-il. «Si ce courant se renforce, il va rendre le vivre ensemble plus compliqué dans les écoles et dans les débats autour de la loi 21.»
Cependant, selon son analyse, le salafisme n’est plus aussi hégémonique qu’il y a quelques années. Cette parenthèse qui s’est ouverte il y a cinquante ans commence à se refermer dans les sociétés arabo-musulmanes. «Ce mouvement n’est plus le seul que l’on entend dans les quartiers populaires. Il y a des voix qui s’élèvent maintenant qui sont pour la sécularisation de la société, pour une distanciation de la religion rigide, un retour vers un islam plus spirituel et très ouvert envers les autres.»
Au Québec cette transition semble plus lente. «Pourquoi? Ici, il y a la difficulté de l’immigration. On a tendance à se replier sur sa culture. On se sent menacé par l’occidentalisation. La tendance au repli est plus forte ici que dans les pays musulmans.»
L’influence des mouvements prônant une plus grande ouverture «va éventuellement se faire sentir au Québec, mais avec un petit décalage». D’autant, qu’au Québec «la grande majorité des musulmans sont d’orientation très laïque. Elle ne se préoccupe pas de cela. La grande majorité des femmes ne portent pas le voile. Au fond, le problème concerne un petit groupe qui est plus organisé et qui se fait plus entendre. C’est ce petit groupe qui soulève des questions», selon Rachad Antonius.
Critique de la gauche et de la droite
Ce dernier critique l’attitude d’une certaine gauche qui, au nom de l’inclusion et de l’ouverture, ferme les yeux sur les aspects problématiques du salafisme. «Leur désir d’ouverture est tellement fort que cela les rend aveugles à certains problèmes.» Sensible aux victimes du colonialisme, cette gauche serait, selon lui, plus encline à se «solidariser avec les sociétés musulmanes».
Pour Rachad Antonius, les critiques formulées par les pays arabo-musulmans envers l’Occident peuvent être tout à fait légitimes. Ces pays ont été «écrasés, dominés et leurs droits bafoués. Aujourd’hui encore, il y a une attitude des pays de l’OTAN qui est un peu la continuité de la pensée coloniale. Ils réagissent à cela».
Toutefois, Rachad Antonius n’hésite pas à s’en prendre aussi à la droite. «Je pense qu’il y a dans la droite un discours qui est tellement stigmatisant que cela n’aide pas.»
Rachad Antonius ne perd pas cependant de vue le fait que l’islamophobie existe au Québec. En entrevue, l’auteur précise toutefois ce qu’il entend par islamophobie. «Je n’emploie pas le mot islamophobie comme un synonyme de racisme antimusulman. Ce dernier existe et il faut le combattre. L’islamophobie est une peur irrationnelle de l’islam qu’il faut déconstruire avec douceur.»
Cependant, pour lui, critiquer légitimement l’islam et l’islamisme n’est pas faire preuve d’islamophobie. «Critiquer certains aspects sociaux et politiques reliés à l’islam est tout à fait légitime.»
Rachad Antonius s’insurge lorsque le Québec est accusé d’islamophobie. «Que l’on ne dise pas que la société québécoise est islamophobe. Il y a du racisme, parfois basé sur l’incompréhension et les stéréotypes qu’il faut déconstruire. Cette déconstruction ne doit pas se faire avec une certaine naïveté dans laquelle tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Il y a des positions politiques qui sont justifiées, d’autres qui sont indéfendables. Parlons-en calmement, sans stéréotypes.»
Les rancœurs, les critiques plus ou moins légitimes, les peurs irrationnelles, le racisme rendent le dialogue difficile. «La dynamique du dialogue s’est rouillée. Le sable est entré dans les rouages. Il faut rouvrir ces dynamiques sans être naïfs. Il y a des problèmes liés à l’islam politique, on le reconnaît, mais on ne doit pas généraliser cela. On ne doit pas formuler cette réalité en termes racistes.»
Est-il optimiste quant à l’issue de ce dialogue? «Je suis maladivement optimiste. Cela ne veut pas dire que l’on va progresser sans conflits. Il y aura des conflits. Il faut apprendre à les gérer de façon à pouvoir s’en sortir. Il faut dépolariser le débat et essayer de comprendre l’autre, ne pas penser que l’on possède la vérité absolue. Il y a une attitude d’humilité à adopter dans ce débat.»