En 2018, paraissait Lettres biologiques – Recherches sur la sexualité humaine, un recueil de trente-cinq lettres que le frère Marie-Victorin a acheminées, durant dix ans, à l’une de ses collègues à l’Institut botanique de l’Université de Montréal, une femme de 22 ans sa cadette.
Le religieux, membre de l’Institut des Frères des écoles chrétiennes du Québec, discutait, par écrit, avec la naturaliste et bibliothécaire Marcelle Gauvreau, de leurs recherches respectives sur la sexualité humaine.
Ces lettre dites «biologiques» contenaient «ses réflexions et enquêtes sur la sexualité, expériences et connaissances qu’il n’a partagées qu’avec elle, la morale dominante de l’époque rendant impensable la discussion publique sur le sujet», reconnaissait alors l’historien des sciences Yves Gingras qui a eu accès à cette correspondance demeurée longtemps secrète et qu’il a patiemment examinée puis retranscrite dans cet ouvrage paru aux Éditions du Boréal.
Voilà que l’éditeur, ainsi que les professeurs Yves Gingras et Craig Moyes, publient dans un nouveau livre de larges extraits de lettres que Marcelle Gauvreau a envoyées au frère Marie-Victorin, souvent en réponse aux lettres qu’il lui faisait parvenir quelques jours plus tôt. Des lettres, parfois très longues, où elle répond aux questions que lui pose le religieux sur la sexualité féminine, les menstruations, les périodes de fécondité ou encore les relations sexuelles.
En posant les deux recueils devant lui, celui du religieux botaniste et celui de la laïque naturaliste, le lecteur ou la lectrice obtient alors le privilège de lire en continu un échange épistolaire étoffé et remarquable entre deux scientifiques.
«Père, votre dernière longue lettre m’est entrée dans le cœur! Elle était si pleinement confiante, si attendrissante, et si diverse! Je l’ai lue et relue plusieurs fois, très lentement puisque j’ai mis environ une heure et demie à la parcourir. Voici mes impressions, « sans mensonge, sans réticence »», écrit-elle le 21 mai 1939.
Elle répondait à une longue lettre envoyée trois semaines plus tôt, le 29 avril, par le frère Marie-Victorin où il reconnaissait que leur intérêt pour la science s’était doublé d’une amitié qui a «grandi en intensité et en profondeur».
«Nous nous sommes ouverts l’un à l’autre. Vous m’avez dit vos petits secrets d’enfance, vos grands secrets de femme. Je vous ai dit aussi mon enfance, mes petits et grands secrets d’homme. «Sans mensonge, sans réticence», avez-vous dit un jour.»
«Notre grande amitié a résisté à beaucoup de choses. Elle est indissoluble. C’est une espèce de mariage de l’âme, une union mystique», écrit encore le religieux tout avant de discuter son voyage à Cuba où il a rendu notamment visite à Lydia, une prostituée, afin de mieux documenter ses recherches sur la sexualité. Il faut lire la réaction de Marcelle Gauvreau au récit de l’expérience du religieux qui, écrit-elle, «se lit comme un roman».
Les lettres de Marcelle Gauvreau reçues par le frère Marie-Victorin «ne semblent pas avoir été conservées et ont sans doute été détruites, soit par lui, soit par les personnes qui se sont occupées de ses effets personnels après sa mort», préviennent Yves Gingras et Craig Moles. Heureusement que la confidente et adjointe du frère Marie-Victorin avait conservé des brouillons de ses notes manuscrites et des copies carbone de ses lettres dactylographiées. Cette collection a été confiée à André Gauvreau, son neveu.
«À la mort de Tante Marcelle, mon père devient exécuteur testamentaire et me lègue un coffret contenant la correspondance intime du frère Marie-Victorin et de Tante Marcelle, avec la recommandation expresse de l’aviser si je devais utiliser ces documents. À son tour, mon père décède et j’ai entre les mains un contenu littéraire explosif», raconte-t-il.
André Gauvreau décide de remettre ces documents au Service des archives de l’UQAM où ils sont conservés sous scellés. Ce n’est que récemment que le donateur a permis qu’ils soient rendus publics. Ainsi, «cette correspondance devient, sinon l’un des grands échanges épistolaires de l’histoire, du moins l’un des plus curieux», estiment les deux directeurs de ce recueil.
Marcelle Gauvreau
Lettres au frère Marie-Victorin
Correspondance sur la sexualité humaine
Présentées par Yves Gingras et Craig Moyes
Éditions du Boréal, 2019, 280 pages
29,95 $
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