Il aura fallu trois siècles, mais ça y est: les écrits des François de Laval sont désormais accessibles en anglais. La publication de The Spiritual Writings of François de Laval vient ainsi répondre à une demande anglophone qui dépasse aujourd’hui la demande francophone en ce qui concerne le premier évêque de Québec, canonisé par le pape François en 2014.
Cet intérêt croissant, Jean Duval, directeur du Centre d’animation François-de Laval, l’observe depuis quelques années via les demandes qu’il reçoit et les intentions de prière déposées à la basilique-cathédrale Notre-Dame de Québec, où se trouve le Centre.
«C’est une demande en partie touristique, puisque davantage d’anglophones fréquentent la cathédrale, dont beaucoup d’Américains», explique-t-il.
Le Centre proposait déjà une biographie de Mgr de Laval en anglais. Mais il voulait aussi donner la possibilité d’entrer en contact avec sa pensée et son époque. Avec le Séminaire de Québec, il a développé le projet de traduire l’ouvrage de Mgr Hermann Giguère consacré aux écrits spirituels de François de Laval et publié en 2011. Celui-ci compte trente-neuf textes qui illustrent l’expérience spirituelle du premier évêque canadien.
Assurer un rayonnement international
«On est heureux de cette ouverture internationale, dit Mgr Giguère. J’ai travaillé cette sélection de textes dans l’esprit où, avec la canonisation, le pape étend la dévotion et la vénération de cette personne à l’Église entière.»
Pour lui, l’objectif est de faire entrer le premier évêque de Québec «dans la cour des grands». Certes, le fait qu’il ait été évêque en Nouvelle-France confère une certaine distance au personnage, mais son souci d’évangélisateur a un rayonnement plus large.
«En le relisant, des choses me sont restées qui m’apparaissent très actuelles dans notre Église d’aujourd’hui. Il était très fort sur la mobilité des prêtres et les voyait comme des missionnaires. Il ne voulait pas établir des cures fixes. Cela m’apparait intéressant pour aujourd’hui, cette idée d’un modèle de prêtre qui va où sont les besoins, motivé par le service des communautés que les gens forment», précise Mgr Giguère, pour qui les propositions ecclésiales du saint demeurent pertinentes au XXIe siècle.
«Son idée était de vraiment créer ici une Église plus proche de ses racines évangéliques. Il était très critique sur ce qui se passait en France au XVIIe siècle: les bénéfices, les évêchés qu’on s’échangeait, qu’on achetait. Il a fait partie d’un groupe – il y a eu François de Sales avant lui – qui voulait faire du nouveau pour se dégager de ces lourdeurs dans l’Église. François de Laval était un évangélisateur proche des gens qui avait le souci de la continuité. Je pense que c’est un héritage important qu’il nous a donné», fait valoir l’expert.
Un défi de traduction
Malgré ces éléments qui se répercutent à travers les siècles, c’est un travail de traduction complexe qui demande une bonne compréhension du français écrit de l’époque, mais aussi de l’histoire de la Nouvelle-France et de l’anglais classique, afin de pouvoir bien rendre dans la langue de Shakespeare le style de ces écrits.
Et la personne parfaite pour ce travail se trouvait non loin du tombeau du saint, dans le Vieux-Québec: il s’agit de l’organiste de la cathédrale anglicane de la Sainte-Trinité. Né en Angleterre, Benjamin Waterhouse est un traducteur professionnel qui sait faire ce pont entre les siècles et les langues.
«Il fallait comprendre le sens du texte de départ avant de vouloir le traduire!» lance-t-il en entrevue. «Pour cela, il fallait comprendre le monde dans lequel il vivait et sa complexité, replonger dans l’histoire du Canada et de la Nouvelle-France et lire des textes spirituels écrits à la même époque», explique M. Waterhouse. «C’est plus compliqué que ce qu’on fait normalement. À trois siècles et demi de distance, c’est un monde de spiritualité que je ne connaissais pas beaucoup.»
Celui qui est d’abord venu au Québec pour compléter des études en musique à l’Université Laval ne s’étonne pas que les écrits de François de Laval n’aient jamais été traduits auparavant. «Sans reprendre le cliché des deux solitudes, il y a toujours eu une séparation entre la vie française et anglaise», note-t-il.
Au fil des pages, il s’est dit frappé par la «clairvoyance» du premier évêque de Québec et par «sa façon de préparer l’avenir»: penser à construire une cathédrale, un séminaire, établir des paroisses sur un territoire énorme…
M. Waterhouse – qui avait déjà traduit la biographie de François de Laval écrite par Gilles Bureau – assurera aussi la traduction du livre de sœur Doris Lamontagne consacré au saint, Envoyés à toutes rencontres, actualité des repères missionnaires de François de Laval.
Tiré à 500 exemplaires, le livre est aussi attendu en format numérique en juin. On ne prévoit pas de version hispanophone pour l’instant.