Voilà qu’au succès commercial d’œuvres de fiction comme Harry Potter, La Guerre des étoiles et Le Seigneur des anneaux s’ajoute depuis quelques années un phénomène qui n’avait pas été anticipé par leurs créateurs: le développement de croyances religieuses. L’ampleur du phénomène est telle qu’un professeur de l’Université Laval (UL) y consacre présentement un projet de recherche.
«Depuis les années 2000, l’arrivée d’internet, des médias sociaux et le vaste choix d’œuvres cinématographiques et littéraires ont contribué à la croissance des religions hyperréelles», affirme Alain Bouchard, chargé de cours à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’UL.
Le concept de religion hyperréelle a été développé il y a une dizaine d’années par le sociologue d’origine belge Adam Possamai. Il intègre des éléments de réflexion empruntés au postmodernisme et au consumérisme. L’an dernier, la très sérieuse maison d’édition britannique Routledge a même publié un ouvrage collectif qui aborde ce concept.
Selon Alain Bouchard, c’est surtout la génération des «milléniaux» (18-35 ans) qui est la plus touchée par le phénomène.
«Ils prennent leurs distances des organisations religieuses et ne sont pas socialisés dans une perspective religieuse par leurs parents, mais cherchent toujours un sens à leur vie. Ils cherchent à développer leur propre modèle et s’approprient des œuvres de fiction créées d’abord pour la société de consommation», explique M. Bouchard, également coordonnateur du Centre de ressources et d’observation de l’innovation religieuse (CROIR).
Cette tendance s’observe notamment dans les données de recensements et de sondages dans les pays occidentaux, alors que davantage de personnes cochent la case «sans religion».
Phénomène mondial difficile à chiffrer
D’après le chercheur de l’Université Laval, on retrouverait les adeptes de religions hyperréelles un peu partout dans le monde. Il serait toutefois difficile de déterminer leur nombre exact, puisqu’ils définissent leur propre structure.
«Tout dépend du lien que les gens entretiennent avec l’œuvre de fiction – et non le créateur de l’œuvre – dont ils se servent pour éclairer leur vie», observe Alain Bouchard.
Officiellement fondé au Royaume-Uni en 2007, le «jediisme», qui s’inspire des Jedi de Star Wars, revendique ainsi 500 000 adeptes dans le monde.
Tant J. K. Rowling (Harry Potter) que George Lucas (Star Wars) et J.R.R. Tolkien (Le Seigneur des anneaux) se sont gardés de prôner une religion en particulier, bien que leurs œuvres soient truffées de références. «J. K. Rowling navigue dans un univers chrétien; c’est la même toile de fond pour George Lucas. Les spectateurs y ont vu des liens», explique le chercheur.
Mais pourquoi ces œuvres de fiction trouvent-elles une résonance à ce point forte chez leurs adeptes que certains y associent des croyances religieuses? «À la manière d’un sismographe, l’auteur est capable de percevoir les transformations infimes dans la société et de les intégrer dans son œuvre», analyse Alain Bouchard.
Scandale de la «force» dans le sang
Il peut même arriver qu’une œuvre de fiction crée des scandales auprès des amateurs qui y trouvent un sens et y pratiquent les valeurs exprimées. C’est le cas de Star Wars de George Lucas, où la «force» était essentiellement un concept sprirituel dans les trois premiers films de la saga. Or, dans la deuxième trilogie lancée à la fin des années 1990, le réalisateur a voulu lui donner une explication biologique qui s’expliquerait par la présence d’éléments dans le sang.
«Il y a eu un scandale parce qu’on venait de rationaliser et de personnifier le concept de force», explique le chercheur.
Le concept de la «force» a été développé par George Lucas après un grave accident de voiture. «Cette expérience marquante va l’amener entre autres à suivre des cours d’anthropologie et à s’inspirer du bouddhisme pour créer son univers», poursuit le professeur.
Les religions hyperréelles pourraient-elles devenir une menace pour les grandes religions du monde, comme le christianisme, le judaïsme et l’islam? Alain Bouchard répond par la négative. «Il faut garder à l’esprit qu’il s’agit d’un épiphénomène de tout ce qui se passe», souligne-t-il.