Ces jours-ci, la préoccupation première de toutes les communautés religieuses du Canada, peu importe qu’elles soient grandes ou petites, c’est avant tout de subvenir aux besoins de leurs membres les plus âgés.
«C’est une préoccupation légitime, bien compréhensible», reconnaît l’archiviste David Bureau, le président du Regroupement des archivistes religieux (RAR).
Comme bien d’autres de ses collègues, c’est de la maison que travaille, depuis deux mois maintenant, le directeur du Centre d’archives et documentation Roland-Gauthier de l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal.
Depuis les débuts de la pandémie de COVID-19, plusieurs communautés religieuses ont demandé à leurs archivistes d’interrompre momentanément leurs activités afin de «limiter les va-et-vient entre l’intérieur et l’extérieur» des résidences où sont protégées les archives des congrégations, souvent situées dans la maison mère et pas si éloignées des lieux et espaces que fréquentent quotidiennement plusieurs religieux ou religieuses.
«Les papiers nous manquent, bien sûr. Nos chercheurs aussi. Mais cela ne nous empêche pas de faire du travail d’indexation, de remplir des formulaires et de mettre à jour nos politiques ou nos procédures», explique David Bureau.
Mais ce qui l’inquiète surtout durant cette crise, c’est d’apprendre combien de religieux et de religieuses ont été infectés et combien d’autres en sont décédés au cours des dernières semaines. Il craint particulièrement que cette pénible situation n’entraîne ou n’accélère la fermeture de résidences et même de maisons générales.
Où iront les archives?
Dans ce cas, que fera-t-on des archives des communautés? Ou encore quels espaces occuperont-elles dans les nouvelles maisons où seront hébergés religieux et religieuses après la pandémie?
«Toutes les congrégations sont très conscientes de l’importance et de la valeur de leurs archives», reconnaît d’emblée David Bureau. «Elles ont pour elles un amour sincère. Mais là n’est pas la question.»
C’est que les membres des congrégations religieuses vieillissent. Les communautés ont peu ou pas de relève. Et elles pourraient bien, au terme de la crise sanitaire actuelle, être fragilisées davantage.
«Lorsque les dernières maisons générales auront été vendues et que les religieux et les religieuses se retrouveront à l’infirmerie, où iront leurs archives? Et surtout, entre les mains de qui?», demande le président du RAR.
Ces questions ne sont toutefois pas nouvelles. Déjà, quelques diocèses ont choisi «d’accueillir les archives» de communautés actives sur leur territoire.
«L’archidiocèse de Sherbrooke en est l’exemple le plus spectaculaire», dit-il, avec son Centre d’archives Mgr-Antoine-Racine. C’est aussi le cas à Trois-Rivières et à Québec.
Ailleurs, des communautés religieuses ont déjà déposé leurs archives dans des musées ou encore les ont confiées à des institutions publiques ou privées.
«Quand on sait que des institutions publiques n’ont pas toujours les moyens physiques ou financiers d’accueillir de grands fonds d’archives», note David Bureau, «on se demande alors ce qu’il adviendra, que ce soit dans un grand diocèse comme Montréal ou dans un petit diocèse éloigné, s’il n’existe aucune structure pour recevoir les archives religieuses».
«Cette mémoire sera alors en danger. Elle l’est déjà», s’inquiète-t-il.
Définir le patrimoine religieux
Selon lui, il faudrait dès maintenant entamer une réflexion sur la définition du patrimoine religieux.
«Il faut sauver l’architecture religieuse», reconnaît l’archiviste de l’Oratoire Saint-Joseph. «Mais toutes ces églises, ces chapelles et ces couvents ne sont pas apparus spontanément. Des gens ont investi des sommes importantes pour leur construction, ils ont acheté des terrains, ils ont engagé des maçons et des charpentiers.»
Ce sont précisément ces faits que racontent les papiers, les plans, les photographies et les documents qui sont conservés, précieusement ou maladroitement, dans les voûtes des paroisses et des maisons religieuses.
«Ce que je souhaite, c’est que lorsqu’on investit des sommes pour la sauvegarde d’un monument, on en réserve une portion pour les archives qui racontent l’histoire de sa construction et la vie des gens qui l’ont occupé au fil des années ou même des siècles», dit David Bureau.
«Sauvegarder le patrimoine religieux«, résume-t-il, «ce ne sera plus seulement protéger la structure physique des bâtiments, ce sera de préserver toute la mémoire des lieux.»
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