Sébastien Doane s’enthousiasme lorsqu’on lui parle de Star Wars. À 37 ans, le chercheur qui compte déjà plusieurs livres de vulgarisation biblique à son actif a grandi avec les opus des George Lucas. «Enfant, je rêvais la nuit que je pilotais l’un de ces petits vaisseaux qui allait attaquer l’Étoile noire!», confie l’expert qui compte bien profiter de la période de Noël pour faire un petit saut dans le cinéma de son quartier…
M. Doane achève un doctorat sur l’Évangile selon Matthieu à l’Université Laval. Adepte de rugby et de course à pied, il intervient régulièrement sur les ondes de Radio VM et de Ici Radio-Canada Première. Il assume un petit côté geek, au point d’avoir son personnage préféré dans cette saga spatiale.
«En tant que poilu viril qui a joué au rugby, et qui dans ses grognements exprime diverses émotions en très peu de mots, j’admets bien aimer Chewie», précise-t-il avec un brin d’autodérision. «Je suis fan de Star Wars et des séries de science-fiction en général. Plus jeune, j’étais un peu plus fan de Star Trek…»
Un conseil: ne répétez jamais cette phrase dans une convention, ces grand-messes de la culture pop souvent spécialisées en science-fiction, en comics américains ou en mangas. Vous lanceriez un débat aux proportions… galactiques.
Car comme tout phénomène culturel digne de ce nom, Star Wars compte son lot de mordus prêts à voler au secours des cultissimes opus du réalisateur George Lucas. Ils sont plusieurs à faire valoir que La Guerre des étoiles accorde une place enviable à la spiritualité grâce à la Force et ses chevaliers Jedi. «Nous sommes des êtres illuminés, pas une simple matière brute», insiste Yoda dans The Empire Strikes Back, confirmant un souci spirituel dans ce space opera aux effets spéciaux rutilants. Les films, il est vrai, empruntent par moment au christianisme, au bouddhisme et à l’hindouisme.
Pas étonnant qu’ils passionnent le bibliste.
«Star Wars, comme la Bible, sont des récits qui permettent de construire notre rapport au monde qui nous entoure. Tous les textes bibliques dits historiques sont des narrations. Ce ne sont ni des listes d’événements, ni des reportages, mais des récits organisés autour d’une intrigue. On a arrangé ça pour donner sens aux événements, sens à la vie. On a une représentation créative de l’histoire, qui est mise en intrigue, et ces personnages-là ont un ancrage historique», explique M. Doane.
«Les meilleures fictions sont des interprétations de la réalité telle qu’on la connait. On retrouve dans Star Wars des thèmes bibliques. On tripe parce que ça nous parle de notre monde à nous! Il est question de la lutte du bien contre le mal. Les récits sont construits pour que l’auditoire s’associe aux personnages qui représentent le bien. Comme dans la Bible, où l’identification à Jésus et aux disciples fait que leur quête devient la nôtre», poursuit-il.
L’Empire comme point commun
Il n’est pas rare d’entendre des amateurs établir des liens entre les personnages de Star Wars et la Bible. Le héros de la première trilogie, Luke Skywalker, évoque pour plusieurs une figure christique. Il lutte contre le mal, représenté par Darth Vader et par l’Empereur. Mais Sébastien Doane n’est pas friand des analyses trop serrées qui se concentrent sur les personnages. Il s’intéresse plutôt au contexte narratif de Star Wars. C’est là, à son avis, que la référence biblique est la plus évidente.
«Ce qui me touche le plus, c’est que dans les deux cas nous avons des mondes dominés par l’Empire! Le peuple hébreu est confronté successivement aux empires égyptien, babylonien, assyrien, grec et romain. La littérature développée dans la Bible est une littérature de résistance. Par exemple, à sa naissance, Jésus est pourchassé par un roi. C’est le dark side of Christmas!», lance-t-il, ajoutant que Jésus finit tout de même par tomber devant un empire, condamné à mort par un représentant du pouvoir impérial. Les premiers chrétiens aussi sont confrontés à une persécution impériale.
«Mais avec la résurrection, il y a une inversion. Jésus ne reste pas mort. Dans Star Wars, la manière de mourir est aussi très intéressante. Obi-Wan meurt, mais ce n’est pas la fin: il faut guider les autres par la suite. Dans la Bible, les Macchabées – le premier texte qui parle de résurrection – disent au roi: on s’en fout, après la mort, la victoire ne sera pas tienne. Ça va continuer, nous aurons une autre vie. Même si le système impérial semble gagner, il n’aura pas le dernier mot.»
«Nous sommes confrontés à la mort, nous voulons qu’il y ait quelque chose d’autre. Si l’empire te tue, il y a quelque chose de plus qu’on souhaite», retient le bibliste.
L’Empire représente également une certaine homogénéité dans Star Wars, avec ses soldats anonymes vêtus de blanc et leurs masques qui dissimulent leur visage. «C’est plus facile de dominer quand tout le monde est pareil. C’est l’idéologie impériale même. Face à cela, il y a une diversité de cultures qui se mettent ensemble et qui ont une cause commune. La diversité dans Star Wars est associée au bien», note M. Doane.
Il précise que la Bible comporte aussi cette dualité. Dans l’Ancien Testament, des tentatives d’homogénéisation prennent la forme de prescriptions ou de combats, à l’instar de Josué qui cherche à «éliminer la différence». «Mais on a aussi le contraire: une résistance et la démonstration que Dieu peut se trouver dans la diversité», précise le bibliste.
Il note cependant qu’il y a une différence fondamentale dans la manière dont on répond à la violence impériale entre la Bible et Star Wars. L’Alliance rebelle y oppose une violence, tandis que les Évangiles optent pour une non-violence extrême. «Heureux les persécutés», lit-on dans l’Évangile selon Matthieu.
M. Doane croit qu’ultimement, une œuvre comme La Guerre des étoiles offre une perspective sur la compréhension de la vie et l’espoir qu’il existe quelque chose de plus grand. «Les Jedi ont une force intérieure, quelque chose de l’action de l’Esprit saint. Dans les films, la foi peut littéralement bouger les montagnes! Ça nous donne des repères, et à partir de ça, on peut comprendre notre propre vie.»