Ce jour-là, à la fin des années 1940, tous les professeurs et les étudiants de ce collège de garçons sont conviés à une pièce de théâtre sur le passage, dans le golfe du Saint-Laurent, de l’explorateur islandais Leif Erikson. Ce sont les élèves de la classe d’un jeune frère enseignant, le frère Jean, qui ont préparé et longuement répété, sous sa supervision, cette représentation.
«Une pièce païenne, sans la moindre teneur morale», tranche, dès la tombée du rideau, un dirigeant de la congrégation religieuse, le frère visiteur, qui s’est rendu dans ce pensionnat de Charlevoix afin de participer lui aussi à cette activité culturelle.
Il reproche au frère Jean de contaminer ses élèves «avec l’envie d’apprendre» et de leur inculquer des idées frivoles. «Vous les faites rêver», accuse-t-on ce jeune frère en soutane qui se passionne pour le cinéma, l’archéologie et la saga des Vikings en Amérique du Nord. «Vous les préparez à l’échec.»
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Dans Le Club Vinland, un film qui prend l’affiche aujourd’hui, vendredi 2 avril, le réalisateur et co-scénariste Benoit Pilon a voulu démontrer qu’au Québec, au temps de ce que certains appellent la Grande Noirceur, «il y avait des figures avant-gardistes qui incarnaient le changement, tant dans la société québécoise que dans l’Église et son clergé».
«Mon défi a été de trouver un équilibre afin de montrer que des personnes comme le frère Jean existent dans un contexte où il y a, c’est vrai, des cotés sombres mais aussi d’autres, très lumineux», dit le réalisateur quelques jours avant la sortie de son film.
Benoit Pilon a cherché à ce que chaque scène soit tournée selon cette dualité. Les images des dirigeants du collège sont constamment sombres et statiques. Mais dès que le frère Jean est auprès de ses élèves, il y a du mouvement et de la lumière.
«Il n’y avait pas que du mauvais à cette époque», dit aujourd’hui celui qui a réalisé, en 2006, Nestor et les oubliés, un documentaire sur les orphelins de Duplessis.
«Je suis très au fait des abus commis par des communautés religieuses. Je sais que plusieurs sont poursuivies aujourd’hui. Mais je reconnais aussi que ces communautés ont été au cœur de plusieurs domaines de notre société, comme la santé, les services sociaux et l’éducation.»
Sans sombrer dans la complaisance ou le révisionnisme, «il faut être capable de dénoncer les abus mais aussi de souligner, de célébrer même, les accomplissements de ces personnes qui se sont dévouées, à l’intérieur de toutes ces institutions, au bien-être de leurs concitoyens», estime-t-il.
Lui-même, qui a été étudiant au collège Saint-Paul de Varennes à la fin des années 1970, une école alors dirigée par les Frères des écoles chrétiennes, n’a que de bons mots pour ce «jeune frère enseignant, mon prof de français, qui nous a fait écrire de la poésie et monter une pièce de théâtre en secondaire 5».
Aux côtés de Pierre Ménard – c’est le nom de son professeur -, «j’ai appris à travailler un texte et à créer une mise en scène». Ces apprentissages ne l’ont jamais quitté, bien qu’il ait un temps bifurqué vers les sciences et la biochimie. «Je dois aujourd’hui tellement à ce professeur qui m’a éveillé aux arts de la scène, ce qui m’a entraîné vers le cinéma», dit-il.
À la fin du nouveau film de Benoit Pilon, le frère Jean, devenu Jean Picard depuis qu’il a quitté la vie religieuse, reçoit une lettre et un colis d’Émile, un des jeunes membres du club Vinland, le groupe d’archéologie qu’il animait, et à qui il n’a jamais cessé de répéter que «c’est correct d’avoir des rêves». Émile lui témoigne, des années plus tard, de la «chance de vous avoir eu sur mon chemin».
Avant que ne défile le générique du film Le Club Vinland, ses artisans ont inscrit sur la pellicule les noms des enseignants qui ont, eux aussi, «changé leur vie» et marqué leur destin. Le nom de Pierre Ménard apparaît tout en haut de la liste.
«Un très beau cadeau»
«C’est un très beau cadeau. Ça fait du bien à l’âme», a réagi, au téléphone, Pierre Ménard, lorsqu’il a appris que son ancien élève lui rendait ainsi hommage.
«Mais ce qui me fait surtout du bien», dit celui qui était, en 1979, un aspirant frère, «c’est de savoir que les talents qu’on a reconnus chez les jeunes, ils ont pu les utiliser dans la réalisation de leurs propres rêves».
«C’est le plus beau cadeau que l’on puisse recevoir» dit ce retraité de l’enseignement qui a exercé sa profession durant 40 ans, presqu’entièrement au collège Saint-Paul de Varennes.
Pierre Ménard, qui suit avec intérêt la carrière cinématographique de Benoit Pilon, dit qu’il ira voir Le Club Vinland durant la fin de semaine. «Après la pandémie, j’irai prendre un café avec lui», promet, de son côté, son ex-élève devenu cinéaste.
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