Dans son livre Bye-Bye maman! Carnet d’ados radicalisés, paru aux éditions La Presse, le journaliste montréalais Fabrice de Pierrebourg retrace le cheminement de jeunes musulmans québécois qui voulaient quitter le pays afin d’aider l’État islamique dans son combat contre l’Occident et les mécréants. Présence l’a rencontré dans un restaurant du centre-ville.
«Si c’étaient mes enfants? Ah mon Dieu!»
Voilà comment Fabrice de Pierrebourg réagit lorsque nous lui demandons si les jeunes radicalisés dont ils racontent l’histoire dans son livre possèdent un avenir. «Ceux que j’ai rencontrés ont l’air bien. J’espère que tout va aller pour eux», souhaite-t-il.
Les jeunes dont il est question ici ont tout fait pour quitter le pays entre 2014 et 2015 afin d’être aux côtés de l’État islamique. Ils voulaient participer à l’établissement d’un État dans lequel ils pourraient vivre la religion musulmane telle que l’enseignent encore les soldats du califat. Âgés de 15 et 18 ans, ces ados avaient une intime conviction: aider d’une manière ou d’une autre à l’édification de ce qu’ils croyaient être le paradis sur terre. Certains y sont parvenus. D’autres ont été arrêtés à l’aéroport tout juste avant que leur avion ne décolle.
Dans son ouvrage, Fabrice de Pierrebourg suit tout particulièrement le parcours d’un jeune adolescent, Ali, dont la radicalisation a débuté à l’âge de 12 ans. «Les cas que j’ai étudiés sont très jeunes. Les recruteurs ont réussi à séduire une clientèle de plus en plus jeune. Depuis la guerre en Syrie, nous avons constaté un abaissement de l’âge des recrues», observe le journaliste.
Des enfants sages
Qui sont ces jeunes qui se sont radicalisés ainsi? «Il n’y a pas de portrait-robot», précise-t-il d’emblée. «Cependant, il y a des jeunes qui viennent de milieux criminalisés. Certains vivaient de l’exclusion sociale ou scolaire. Moi, j’ai voulu étudier ceux qui ne correspondent pas au portrait que l’on se fait d’eux. Ceux qui sont partis et ceux qui voulaient partir étaient des enfants sages. Ils ont été élevés dans de bonnes familles. Nous n’avons pas trouvé d’historiques de radicalisation.»
Ali, malgré tous ses efforts, n’a pas réussi à quitter le pays. «Ces jeunes, et cela vaut aussi pour les terroristes aguerris, sont très déterminés. Nous sous-estimons beaucoup leur détermination. Ils ont préparé leur coup. Mis de l’argent de côté. Ils ont préparé leur sac. Ils ont acheté leur billet. Ils se sont dirigés à l’aéroport. Il n’y a pas un moment où ils se sont dit: « Nous allons arrêter ».»
Ils étaient également de véritables croyants, selon Fabrice de Pierrebourg. «Ces jeunes possèdent plus de références religieuses que leurs parents qui ne pratiquent pas. Évidemment, ils ont une vision de la religion qui est conforme à celle de l’État islamique.»
Le journaliste affirme que pour certains jeunes le processus de radicalisation «a commencé par un éveil religieux, surtout chez les filles. Certaines se sont mises à porter le voile.» À la même époque, les mosquées tentaient d’attirer des jeunes, «pas forcément pour de mauvaises raisons».
Agents de radicalisation
Si le fait religieux a une importance dans le processus de radicalisation de certains jeunes, l’actualité sociale et politique en a tout autant. «Les adolescents m’ont tous dit que leur radicalisation est le résultat d’une accumulation d’événements comme la guerre en Syrie, la création de l’État islamique, le débat entourant la Charte de la laïcité au Québec. Au-delà de ces événements, il y a le sentiment d’outrage et d’injustice. Les jeunes se demandaient pourquoi cent morts à Alep ont moins de poids que trois morts en Angleterre.»
Pour le journaliste Fabrice de Pierrebourg, c’est tout cela qui a fait en sorte «qu’ils se sont convaincus qu’ici c’était l’enfer et que là-bas [en Syrie] c’était le paradis».
Si internet a contribué à leur radicalisation, l’auteur souligne que les relations entre amis et mentors ont solidifié leurs convictions radicales. «Comme dans les sectes, il y a des agents de radicalisation qui contrôlent et profitent de l’état d’esprit des jeunes.»
Au grand désarroi de leurs parents qui souvent ne voient rien venir. «C’est une claque dans la gueule que subissent ces parents-là. Ils vivent avec un sentiment de honte. Ils ont peur d’être ostracisés et d’être étiquetés comme parents de terroristes. Je crois que nous n’en faisons pas assez pour les aider», souligne le journaliste qui est toujours en relation avec certains d’entre eux.