C’est au Centre La Tienda, situé à Montréal, qu’avait lieu le 17 février le lancement montréalais de l’ouvrage du sociologue Michel O’Neill. Intitulé Entre Saint-Jacques-de-Compostelle et Sainte-Anne-de-Beaupré. La marche pèlerine québécoise depuis les années 1990 (Pesses de l’Université Laval), le livre aborde ce phénomène par le biais de la sociologie et de l’histoire. Il offre également des informations pratiques pour ceux et celles qui veulent s’y aventurer.
Lors du lancement de son livre, Michel O’Neill raconte avoir marché à deux reprises sur les chemins de Compostelle. «Lorsque nous revenons au Québec, il est difficile de maintenir la magie du Chemin dans notre quotidien. C’est là que je me suis dit que les chemins québécois pourraient m’aider.» Toutefois, il avoue ne pas avoir été attiré par les chemins qu’ils connaissaient, c’est-à-dire ceux des Sanctuaires, des Navigateurs, des Outaouais. «Honnêtement, cela ne m’inspirait pas beaucoup», raconte le sociologue. Néanmoins, Michel O’Neill a quand même poursuivi sa recherche sur les chemins québécois.
En 2014, il entend parler du chemin de Saint-Rémi et rencontre ses fondateurs en 2015. Michel O’Neill va même marcher les six premiers jours de la première marche animée par les fondateurs. Au fil de ses recherches, il se rend compte que peu d’ouvrages ont été publiés sur le phénomène des chemins de pèlerinage au Québec. Son enquête lui fait découvrir dix-huit chemins plus ou moins inspirés par Compostelle.
En entrevue, l’auteur confirme que d’autres chemins sont actuellement en préparation. Alors que son livre était déjà sous presse, il entend parler d’un dix-neuvième chemin qui s’est ouvert au début de 2017.
Un phénomène durable
Le sociologue avance qu’il y a là un phénomène sociologique qui n’est pas près de disparaître. «Il y a une progression lente et constante du nombre de chemins et du nombre de marcheurs. Je prédis que cela va durer au moins durant les dix prochaines années.»
Selon lui, c’est le besoin de faire un arrêt dans sa vie pour y trouver un sens qui motive de plus en plus les pèlerins contemporains. «Cette nécessité de se donner des parenthèses de quête de sens, moi je pense qu’elle va demeurer. Elle va même être exacerbée par la manière dont la vie quotidienne évolue c’est temps-ci. La vie est de plus en plus dure pour de plus en plus de personnes. Les polarisations que nous constatons dans la société entraînent des inconforts de plus en plus grands.»
Cependant, le chercheur croit que cette recherche de sens passera de moins en moins par l’univers du religieux. Même si les baby-boomers n’étaient pas très pratiquants, ni même très croyants, le sociologue souligne qu’ils pouvaient néanmoins s’inspirer des matériaux religieux en place. «Ces matériaux-là étaient inscrits dans leur culture de base, même s’ils n’étaient plus pratiquants catholiques, ils pouvaient s’y référer plus facilement et bricoler leur propre sens là-dedans.» La nouvelle génération ne possédant pas ces matériaux «risque de parcourir les mêmes milieux sans leur donner le même sens», explique Michel O’Neill.
Auto-organisation
Le sociologue-pèlerin se penche également sur une tendance qui devient de plus en plus populaire soit l’auto-organisation de la marche pèlerine.
«Lorsque nous allons sur les chemins de Compostelle, nous sommes relativement auto-organisés. Nous choisissons notre date de départ, les chemins que nous allons parcourir, les endroits où nous allons dormir, etc. Il y a une grande autonomie. Bien sûr, il y a des gens qui font les chemins de Compostelle sous la forme d’un voyage organisé, mais la plupart des marcheurs le font de manière autonome. Au Québec, c’est assez différent. En effet, sur dix-huit chemins dont je parle dans mon livre, il y en a treize où tu ne peux pas être autonome. Tu couches dans des endroits précis, tu marches avec les mêmes personnes, tu n’as pas le choix d’arrêter ou de continuer. C’est une manière très différente de fonctionner.» Cependant, l’auteur a rencontré des marcheurs qui planifient eux-mêmes leur pèlerinage en se servant des guides conçus à cet effet ou même des guides touristiques.
Par ailleurs, Michel O’Neill s’attarde sur l’esprit entrepreneurial qui entoure de plus en plus la conception des nouveaux chemins de pèlerinage au Québec. Il souligne que certains des nouveaux sentiers ont été conçus par des associations touristiques régionales. «Cela s’inscrit dans une optique, je dirais, carrément touristique, où on capitalise sur l’intérêt actuel pour la marche pèlerine.» Selon le chercheur, d’autres chemins ont vu le jour grâce à l’effort de citoyens intégrés au sein d’organismes à but non lucratif dans le but d’aider des villages dévitalisés.
Le Centre La Tienda, où a eu lieu le lancement du livre de Michel O’Neill, s’inscrit d’ailleurs dans cette volonté entrepreneuriale qui allie l’esprit d’entreprise et le désir d’aider les marcheurs à mieux vivre leur pèlerinage.
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Michel O’Neill
Entre Saint-Jacques-de-Compostelle et Sainte-Anne-de-Beaupré. La marche pèlerine québécoise depuis les années 1990
Presses de l’Université Laval, 2017
264 pages