Le premier congrès sur la traduction biblique en langues inuites à se tenir au Canada avait lieu à Toronto du 30 janvier au 3 février. L’événement rassemblait des équipes de traduction de l’Alaska (inupiaq), de l’Ouest du Nunavut (inuinnaqtun), de l’Est du Nunavut (inuktitut), du Nunatsiavut (inuttut) et du Groenland (kalaallit).
Mais l’expérience n’était pas que langagière: la Société biblique canadienne, qui parrainait l’événement, voulait aussi l’inscrire dans le processus de réconciliation avec les peuples autochtones.
Myles Leitch, le directeur de la traduction biblique à la Société biblique canadienne, a expliqué que le congrès voulait «miser sur les aspects communs des cultures et des langues, pour permettre aux traducteurs et traductrices chevronnés de conseiller ceux et celles qui sont plus nouveaux dans le domaine».
La rencontre servait notamment à peaufiner la formation des équipes, tant en matière de méthode que d’exégèse. Parmi la quarantaine de participants, certains ont parcouru plus de 5000 kilomètres pour assister au congrès.
La conférence d’ouverture a été prononcée par l’évêque du diocèse de l’Arctique – le plus vaste diocèse anglican au monde – Mgr David Parsons. Il a insisté sur l’importance d’avoir accès aux textes sacrés dans sa propre langue.
Un défi complexe
À 111 ans, la Société biblique canadienne a certes une grande expérience en matière de traduction biblique. Elle a entre autres participé à des traductions en cri des plaines (Saskatchewan), en cri de la côte (Québec) et en ojibwé (Ontario, Manitoba).
Mais une traduction dans une langue autochtone demeure un défi considérable. En 2012, on a dévoilé à Iqaluit une première Bible en inuktitut, la langue inuite la plus répandue chez les peuples du Nord. Il a fallu trente-quatre ans pour mener ce projet à terme.
«Ce sont des traducteurs qui ne sont pas à temps plein. Ils ont leur vie à faire», explique Réjean Lussier, un traducteur engagé par la Société biblique canadienne.
Il fait valoir que l’approche méthodologique a évolué avec les années, à la fois pour mieux tenir compte des contextes de pratique de langues fortement ancrées dans des traditions orales, mais aussi pour exploiter les nouveaux outils informatiques disponibles.
Il rappelle que pendant des années, un spécialiste de la Bible se déplaçait dans telle ou telle région afin d’apprendre la langue ou le dialecte. Le processus pouvait prendre plusieurs années. Et même si l’expert finissait par apprendre la langue, des subtilités pouvaient lui échapper.
«C’était long, convient M. Lussier. Maintenant, on va chercher des croyants dont le dialecte est la langue maternelle. Ils traduisent la Bible à partir d’un texte anglais. Ils retraduisent ensuite le texte en anglais, ce qu’on appelle une rétrotraduction. Et là des experts vont comparer le résultat, pour voir si c’est conforme.»
Le processus occasionne beaucoup de va-et-vient et de discussions. Il fait appel à des gens qui ne sont pas nécessairement des spécialistes de la Bible, et les fait travailler avec des exégètes et des linguistes. Mais grâce à des logiciels spécialisés, le temps de traduction est aujourd’hui réduit de moitié comparativement aux anciennes méthodes.
Plusieurs équipes – et c’est notamment le cas au Canada sur les projets liés aux langues inuites – travaillent avec le logiciel Paratext, spécialement conçu par des sociétés bibliques pour une telle approche collaborative.
En plus de l’appui de la Société biblique canadienne au processus de réconciliation avec les peuples autochtones, plusieurs Églises, dont l’Église anglicane du Canada, voient aussi dans ces efforts de traduction une manière de réparer des relations mises à mal au fil des décennies avec les peuples du Nord.
«Il y a plusieurs années, on leur a enlevé leurs enfants. Ça a contribué à faire perdre la langue et la culture», rappelle M. Lussier, évoquant les pensionnats autochtones canadiens. «Ces efforts de traduction peuvent aider à préserver la culture et les dialectes. Pas pour compenser, mais peut-être pour réparer le mal qui a été fait.»