Des statues religieuses appartenant à des particuliers sont sauvées et restaurées grâce au dévouement d’une dame de Victoriaville. Un passe-temps qui l’amène à réfléchir sur notre rapport à ces objets de piété qui finissent trop souvent à la poubelle.
C’est le hasard qui a mené ces statues à croiser la route de Lyne Robichaud. La tante de son mari souhaitait redonner son lustre d’antan à une statue extérieure. Elle s’est portée volontaire. Le projet a pris de l’ampleur lorsqu’une paroisse a publié une annonce invitant les gens à la contacter plutôt que de les jeter. Une trentaine de personnes l’ont contactée pour lui confier des statues.
«C’est surtout le côté patrimonial et historique de ces objets qui m’attire», explique-t-elle. «Il s’en perd beaucoup au Québec. Ce sont de belles pièces. Et c’est de l’art! Ce n’est pas parce que c’est religieux qu’il faut nier ou dénigrer que c’était de l’art.»
Autodidacte, elle n’a aucune formation particulière, hormis une passion pour la céramique artisanale, où elle a appris à se délecter de projets complexes et détaillés tout en ignorant qu’elle appliquerait un jour ces principes à ces statues. «Certains tricotent, moi je fais ça», lance-t-elle gaiement.
Les principaux maux se recoupent. Beaucoup de statues ont souffert d’une exposition aux éléments, car plusieurs étaient placées dans des niches à l’extérieur.
«Elles sont souvent abimées par les intempéries. C’est par exemple le cas de statues de plâtre placées dans une petite grotte sur un terrain. D’autres fois, elles ont été échappées et cassées. Parfois, c’est plus inusité: une dame m’a contactée car sa ménagère, en voulant laver sa statue, avait effacé une bonne partie de la peinture.»
À l’occasion, Mme Robichaud croise certaines qui ont été victimes de tentatives ratées de restauration.
«Quand je vois à quel point certaines ont été massacrées, j’ai envie de les remettre en état. J’en croise des rigolotes avec des faces maquillées de manière malhabile. Je souhaite leur redonner une allure plus noble», dit-elle.
Les Vierges et autres Sacré-Cœur sont légion. Les sainte Anne sont aussi assez populaires. Mais parfois, elle déniche des modèles qui sortent du lot. Elle travaille présentement sur un Christ-Roi. Il y a quelques temps, elle a restauré un saint Jude en béton – moins commun que le plâtre.
«Il a une flamme sur la tête, dit-elle. Elle avait été repeinte. On aurait dit qu’il avait une moumoute rouge sur la tête!»
(La statue restaurée par Lyne Robichaud se trouve à gauche sur l’image. Courtoisie)
La phase de recherche lui demande parfois beaucoup de temps. Elle s’inspire de photos d’œuvres existantes trouvées sur la Toile pour choisir les couleurs appropriées. Pas question, blague-t-elle, se mettre une robe «rose nanane» à la Vierge. Elle note ainsi les subtilités entre différents modèles et s’inspire des couleurs d’origine.
«On peut chercher longtemps. Et parfois je ne trouve pas. Je me fais aider par le groupe Patrimoine religieux du Québec sur Facebook. Les gens me fournissent de bonnes informations. Récemment, je cherchais à identifier une statue de Marie couronnée pleine de dorures. C’est grâce à leur aide que j’ai su que c’est une représentation de Notre-Dame de la Bonne Santé, en Inde.»
Lyne Robichaud ne compte ni le temps ni l’argent investis. Elle réfléchit pendant quelques secondes avant d’estimer la charge de travail qu’un tel passe-temps requiert.
«Cela dépend de la taille et de l’état de la pièce. On oublie le temps. Je dirais cependant qu’il faut un bon 20 heures par statue. Avant même de refaire la peinture, il y a un grand travail de préparation à faire.»
Elle doit désinfecter des sections moisies, resceller les surfaces et appliquer du plâtre manquant. Il a fallu qu’elle reconstruise des parties de certaines statues, dont les mains d’un Sacré-Cœur. Ensuite, il faut plusieurs essais et mélanges avant de trouver la teinte de peinture désirée.
«Le temps que ça prend est relatif. On peut mettre des détails, ou le faire rapidement», rappelle-t-elle.
Quant aux coûts, elle affirme ne pas «s’arrêter à ça». «Le matériel n’est pas si cher. Un peu de peinture, de quoi faire des réparations… C’est le temps: s’il fallait que je le calcule, ce serait épouvantable!», confie-t-elle en riant.
Une partie de sa mission consiste également à prodiguer quelques conseils aux propriétaires de statues sur les meilleures pratiques de nettoyage et d’entretien. Son meilleur conseil? « Ne pas la remettre dehors! Mais si elle y est, il faut installer un socle pour éviter le contact avec le sol. Idéalement, il faut la mettre à l’abri ou la rentrer en hiver.»
Elle a complété une trentaine de projets de restauration jusqu’à présent. Avant le début de la pandémie, elle songeait à les revendre au profit d’un organisme pour amasser des fonds et payer les coûts des matériaux nécessaires. Mais ce projet est sur la glace. Elle se dit ouverte à l’idée de récupérer d’autres statues, mais veut éviter de trop encombrer son sous-sol.
«J’aimerais écouler un peu celles que j’ai. Si je reste avec tout ça, je ne pourrai pas continuer d’accumuler», précise-t-elle.
Grâce à sa page Facebook, elle reçoit des demandes de diverses régions du Québec. Et plusieurs de France. «Les gens doivent se déplacer pour venir me la porter. J’ai eu des demandes pour des gens qui habitent trop loin. Je suis alors obligée de dire non.»
Ces multiples demandes lui font réaliser que peu de ressources existent pour faire restaurer de tels objets auxquels les gens restent attachés et qui ont droit à leur place au sein des préoccupations patrimoniales.
Sa dernière acquisition ne date que de quelques jours. Une dame qui vient d’acheter une maison à Saint-Félix-de-Valois a trouvé un Sacré-Cœur très abimé au fond du terrain. Elle a cherché en vain des services de restauration avant de découvrir le travail de Lyne Robichaud.
«Le lendemain, elle faisait le voyage aller-retour pour m’apporter sa statue. Est-ce la foi? Est-ce la culpabilité de jeter un objet de dévotion? Est-ce notre éducation judéo-chrétienne qui nous incite à vouloir faire revivre ces objets de culte? Toutes ces questions se posent… Pour ma part, voilà un nouveau défi à relever, et celui-là en est un bon.»
(Statue abimée confiée à Lyne Robichaud pour être restaurée. Courtoisie)
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