Qui croirait que de qualifier les pièces des frères Dorval de «belle collection de zouaves» serait un splendide compliment? C’est pourtant ce que les curieux qui assistaient en fin de semaine au salon annuel du club Les Grands collectionneurs du Québec, dans la capitale nationale, ne cessaient de répéter en passant devant leur stand consacré aux zouaves pontificaux canadiens.
Parmi les cartes sportives, pièces de monnaie et autres objets de collection de tout acabit, deux hommes captaient l’attention des visiteurs par leur accoutrement singulier composé d’uniformes gris, casquettes incluses, aux lignes rouges et aux armoiries pontificales. Ce n’était pourtant que l’entrée en matière car, autour d’eux, un assortiment d’artefacts minutieusement disposés replongeait les férus de collections en tout genre dans une époque pratiquement révolue, celle de la gloire passée des zouaves pontificaux au Québec.
«C’est mon frère Pierre qui a débuté cette collection», précise Albert Dorval en désignant son frère du menton.
Eux-mêmes zouaves depuis les années 1950, ils ont développé plutôt récemment un intérêt pour la collection de ces objets d’époque.
«Au départ, nous voulions surtout éviter que ça se ramasse n’importe où», expliquent-ils. Progressivement, la collection a pris de l’ampleur au fil des trouvailles et des dons récoltés.
Bien qu’il existe toujours des zouaves pontificaux au Québec, ils sont de moins en moins nombreux. «Vous savez, la vie est ainsi faite que ce sont souvent les maris qui meurent en premier. Parfois, les veuves nous appellent et nous proposent de reprendre ce qui concerne les zouaves», dit Albert.
Un ensemble exceptionnel
Il a fallu moins de quinze ans aux deux frères pour amasser ce qui pourrait bien être la plus importante collection privée du genre au Québec. En plus de leurs milliers de photos d’époque sur l’épopée des zouaves au Québec – et plus particulièrement à Québec – ils comptent des drapeaux, des livres, des documents officiels, des sabres, des fusils, des baïonnettes, des insignes, des instruments de musique et des figurines en carton représentant des zouaves pontificaux armés.
Mais le joyau de cette collection réside peut-être du côté des uniformes colorés qu’ils ont sauvés de l’oubli. Ils avaient choisi d’en exposer une dizaine au cours de la fin de semaine. Toutefois, leur collection en comprend près de trente.
«Les uniformes gris étaient pour les soldats, et les bleus pour les officiers. À partir de 1964, l’uniforme a été modernisé. On a alors laissé tomber la culotte bouffante et les guêtres pour des pantalons. C’était plus moderne, et ça a aidé un peu le recrutement des jeunes à l’époque», détaille Albert.
L’un des éléments clés à observer sur ces uniformes se trouve au niveau du col. Les numéros qu’on y remarque permettent d’identifier la provenance de l’uniforme. «À [la paroisse] Saint-Jean-Baptiste [à Québec], nous avons le numéro 1, poursuit Pierre. Pour Trois-Rivières, c’est le 2. Pour Charlesbourg, c’est le 33. Ça veut dire que Saint-Jean-Baptiste a été la première compagnie du régiment des zouaves pontificaux canadiens et que, par exemple, Charlesbourg a été la trente-troisième.»
Des pièces uniques
Pierre et Albert Dorval reconnaissent le caractère inusité de leur passion. «Oui, c’est une collection rare!», se réjouissent les frères en regardant tout ce qu’ils sont parvenus à amasser.
Quand on leur demande quelles sont les pièces les plus précieuses de leur collection, ils saisissent immédiatement un certificat de 1915 du pape Benoît XV adressé au colonel Charles Edmond Rousseau, qui était alors le plus haut gradé des zouaves au Québec. Ce document historique définit la mission que le pape donne aux zouaves du Québec. «C’est unique. C’est le seul qui existe», indiquent les frères, le souffle pratiquement coupé.
Ils désignent également un drapeau d’apparat du Vatican orné de broderies et de pierres. En excellent état, on leur a déjà offert «un montant dans les quatre chiffres» pour ce drapeau. «Nous avons refusé, bien entendu», ajoutent-ils, sourire en coin.
Faire perdurer la mémoire des zouaves
Si des Canadiens français ont bel et bien fait partie des zouaves qui défendaient les État pontificaux au moment de l’unification de la péninsule italienne qui s’est terminée en 1870 par la prise de Rome, c’est en 1899 que les zouaves ont été relancés au Québec sous forme d’association. Les quelques zouaves toujours actifs au Québec se consacrent surtout à des œuvres sociales.
«L’aspect social a toujours été important», convient Albert Dorval. «Aujourd’hui, c’est plus comme un club social, qui fait des activités et des œuvres. Le nom demeure, avec une belle connotation.»
Les frères Dorval évoquent avec beaucoup d’admiration le caractère religieusement et socialement engagé, soutenu par la camaraderie qui prévalait chez les zouaves. C’est un peu de cela qu’ils veulent préserver avec leur collection, qu’ils exposent de quatre à cinq fois par année dans divers événements au Québec.
Ils admettent cependant qu’ils ne savent pas ce qu’il adviendra de leur trésor lorsqu’ils ne pourront plus s’en occuper. Ils disent n’avoir entrepris aucune démarche particulière, ni auprès d’un musée, ni auprès d’un éditeur capable de présenter ces pièces et leur histoire.
Mais pour l’instant, leur collection compte deux éléments primordiaux qui lui donnent sens et qui aident les néophytes à naviguer dans cet univers qui a marqué l’histoire du catholicisme québécois au XXe siècle.
Eux.