Jeudi soir dernier, deux cents personnes se sont réunies dans l’église Saint-Jean-Baptiste à Montréal afin d’assister à la représentation de la pièce de théâtre Le Souffle d’Etty qui met en scène les écrits d’Etty Hillesum, jeune Juive hollandaise morte à Auschwitz en 1943. Les spectateurs, émus, ont réservé aux comédiens une longue ovation.
Dès la fin de la pièce, les bravos ont fusé et la foule s’est levée d’un bond pour applaudir les deux comédiennes de la pièce, Annick Galichet et Mary Vienot, ainsi que le metteur en scène Michel Vienot. Cet accueil ne les a pas vraiment surpris.
«Depuis que nous sommes au Québec, nous avons des ovations à chaque représentation. Les spectateurs sont touchés, profondément touchés par les paroles d’Etty. Il y a vraiment quelque chose qui se passe en eux», explique Annick Galichet.
Selon Mary Vienot, conjointe du metteur en scène, beaucoup de Québécois sont en train de faire une découverte. «Ils découvrent pour la première fois des paroles qui peuvent leur faire beaucoup de bien. Etty a écrit un journal intime. Elle n’écrivait pas pour convaincre ou pour donner une leçon. Elle n’a pas écrit autre chose que son journal intime et des lettres parce qu’elle est morte à Auschwitz. Elle nous a laissé un document extraordinaire. Non seulement en raison de la profondeur des idées, mais également en raison de la manière dont elle les a écrites. Elle arrive à les exprimer d’une manière que tout le monde peut comprendre.»
Une parole pour aujourd’hui
Commencé en 1941, alors qu’elle avait 27 ans, le journal intime d’Etty Hillesum a été publié en 1981 sous le titre Une vie bouleversée. Le succès a été immédiat. Venait d’être révélée au monde une voix unique évoquant à la fois les affres des camps de concentration lors de la Deuxième Guerre mondiale et sa vie mouvementée, tourmentée, puis éclairée par sa découverte de Dieu.
En 1942, soit un an après avoir commencé son journal intime, elle occupe un poste au Conseil juif. Cet organisme, créé par les nazis, avait un double rôle: aider les juifs mais aussi faciliter la mise en œuvre des lois et des règlements concernant la population juive. Consciente de cette ambivalence, Etty Hillesum se porte volontaire pour aider les juifs déportés au camp de transit de Westerbork. Toujours membre du Conseil, elle sera pour les prisonniers une infirmière, une travailleuse sociale, voire un guide spirituel. Malade, elle peut quitter le camp afin de se soigner, grâce aux privilèges accordés aux membres du Conseil. Elle y revient pourtant afin de poursuivre son œuvre auprès des prisonniers. Le 7 septembre 1943, elle est envoyée au camp d’Auschwitz où elle meurt le 30 novembre de la même année.
Bien que le journal intime d’Etty Hillesum relate des faits historiques, ses propos sont toujours actuels. «Les paroles d’Etty sont tellement fortes et tellement actuelles. Elles nous parlent d’aujourd’hui. Elles ne nous parlent pas seulement de l’actualité d’il y a quarante ans. Les paroles d’Etty sont pour aujourd’hui. Dans son journal intime, elle nous présente une manière de vivre les évènements dramatiques contemporains. Elle a vécu les difficultés de façon lumineuse. Cela nous apporte de la nourriture pour aujourd’hui», souligne Annick Galichet.
«Le contexte, c’est la Shoah. Toutefois, son écriture est moderne. C’est une femme d’aujourd’hui», indique Michel Vienot, metteur en scène.
De la France au Québec
Produite par La Compagnie Le Puits, la pièce Le Souffle d’Etty est présentée en France depuis cinq ans. Invitée par l’Arche de Jean Vanier à jouer cette pièce au Québec, la petite troupe se produit dans différentes villes jusqu’au 12 novembre.
«Il n’y a pas de liens formels entre la pièce et l’Arche», indique Michel Vienot. «Cependant, Mary et moi avons un enfant handicapé mentalement qui vit à l’Arche. Il y a plusieurs années, nous avons demandé à des représentants de l’Arche au Québec s’ils voulaient que nous venions jouer la pièce ici.»
Michel Vienot précise toutefois qu’entre la pensée d’Etty et la philosophie de l’Arche, il existe un lien très fort. «Ce n’est pas par hasard si Jean Vanier aime Etty. Elle parle de la souffrance. Elle parle de l’acceptation des choses et du fruit que cela peut donner.»
La petite troupe française est accompagnée dans sa tournée québécoise par l’association Les amis d’Etty Hillesum, dont le but est de faire connaître ses écrits et son témoignage de résistance.