En juin 1954, les religieuses de la Congrégation de Notre-Dame annoncent que le centenaire de Villa Maria, leur maison d’enseignement reconnue «comme l’une des meilleures de toute l’Amérique», sera dignement souligné lors d’activités qui dureront trois jours. Une messe pontificale sera célébrée par le cardinal Paul-Émile Léger tandis que le maire Camillien Houde doit assister au banquet du 100e anniversaire. Quant au lieutenant-gouverneur Gaspard Fauteux, il présidera la cérémonie de remise des diplômes, la ‘séance de graduation’ comme on l’appelle alors, le 21 juin, à la fin de l’année scolaire.
Le 21 juin 2023, près de sept décennies plus tard, la Congrégation de Notre-Dame annonce qu’elle met en vente le vaste domaine où se trouvent aujourd’hui le Collège Villa Maria, le Collège Marianopolis, un centre administratif, une infirmerie et une résidence pour religieuses autonomes. Tous ces bâtiments se côtoient sur un terrain de 2 271 411 pieds carrés dont les religieuses sont propriétaires depuis 1854, année où elles ont acquis la maison James-Monk et tout le domaine où a vécu ce juge et homme politique et qui fut ensuite le lieu de résidence de trois gouverneurs généraux du Canada-Uni.
«C’est avec une grande tristesse que nous avons dû nous résoudre à mettre en vente le domaine», a déclaré la supérieure générale de la congrégation, Ona Bessette. Elle indique que toute l’équipe de direction de sa congrégation «a travaillé très fort pour essayer de trouver des solutions permettant aux sœurs de continuer à habiter ce domaine auquel elles sont très attachées et dont nous sommes propriétaires depuis 169 ans». Mais elle doit aujourd’hui concéder que «la gestion du domaine s’avère beaucoup trop lourde pour une communauté dont la moyenne d’âge est de plus de 86 ans».
«Nous devons donc tourner cette page d’histoire, mais nous souhaitons le faire en respect de notre mission éducative et de tous nos partenaires», a ajouté sœur Ona Bessette.
Dans sept ans
La recherche d’un acheteur pour ce domaine va débuter prochainement. Mais «cette vente ne sera toutefois effective que dans sept ans, après le déménagement des sœurs vers un lieu mieux approprié à leur âge et leurs conditions de santé, ainsi que la terminaison du bail avec le Collège Villa Maria», indique le communiqué de la Congrégation de Notre-Dame.
La gestion de l’infirmerie des religieuses sera confiée à une firme spécialisée dès l’automne, bien que la congrégation en demeure propriétaire. Mais, a-t-on aussi annoncé, «dans quelques années, compte tenu de la décroissance du nombre de sœurs, l’infirmerie sera fermée et les sœurs ayant besoin de soins seront transférées dans une résidence gérée par un tiers hors du domaine».
Le Collège Villa Maria, de son côté, possède un bail jusqu’au 31 juillet 2030. «Ainsi, tous les étudiants actuels et ceux admis en 2024 pourront compléter leurs études dans les bâtiments actuels», assurent les religieuses. Mais ce sera à son conseil d’administration de prendre «toutes les décisions nécessaires à l’égard de l’avenir de l’institution».
Heureusement, pour le Collège Marianopolis, aujourd’hui un cégep privé anglophone, l’annonce de la Congrégation de Notre-Dame «n’aura aucun impact pour les étudiants, les enseignants et le personnel» puisque le bâtiment et son terrain seront vendus à l’organisme à but non lucratif qui gère cette institution. «La transaction immobilière s’effectuera au cours des prochains mois et le collège deviendra propriétaire des lieux qu’il occupe depuis quelques décennies déjà», a indiqué la supérieure générale Ona Bessette.
La Congrégation de Notre-Dame compte actuellement 525 membres, dont 351 religieuses au Canada, 85 aux États-Unis et 46 au Japon. Les autres religieuses sont présentes au Cameroun ainsi qu’en Amérique centrale. Les religieuses canadiennes font partie de deux entités appelées provinces. La province Marguerite-Bourgeoys regroupe 222 religieuses francophones tandis que la province Visitation compte 129 religieuses anglophones.
Tristesse et peine
Devoir vendre le domaine Villa-Maria, ce ne fut certes pas une décision facile à prendre, reconnaît la religieuse Francine Landreville, la leader de la province Marguerite-Bourgeoys. «Ce sont des institutions d’enseignement auxquelles nous sommes toutes très attachées», dit-elle. Plusieurs religieuses y ont habité ou travaillé durant de nombreuses années. «Personnellement, j’ai 57 ans de vie religieuse et cela fait 43 ans que je travaille sur le domaine», confie-t-elle.
Lorsque sœur Landreville a prononcé ses vœux, au milieu des années 1960, elle n’imaginait certainement pas qu’un jour sa congrégation aurait à prendre une telle décision.
Une décision vécue aujourd’hui «dans la peine, la tristesse», confie-t-elle.
«Fondamentalement, ce qui nous rend tristes, s’empresse-t-elle de préciser, ce n’est pas tant de se départir de biens». C’est plutôt de constater que la Congrégation de Notre-Dame, «comme réalité, devient fragilisée puisqu’elle n’a pas de relève, parce qu’il n’y a pas de personnes pour assurer la suite».
La décision des religieuses de vendre leur domaine si chargé d’histoire est «une conséquence de l’absence de relève», dit-elle.
Comme religieuses, «nous avons été très heureuses», dit-elle. «C’est une congrégation, comme d’autres, qui a beaucoup à offrir à des femmes, aujourd’hui encore.» Mais elle doit aujourd’hui reconnaître que la vie religieuse n’attire plus comme auparavant et que «la foi sur laquelle notre vie comme religieuse est fondée ne se transmet pas facilement dans la société et même dans nos institutions d’enseignement».
Tant au Québec que dans le reste du Canada, il y a peu ou pas de nouvelles recrues à la Congrégation de Notre-Dame. «Chez les francophones, les dernières qui sont entrées, c’était en 2009», indique la supérieure provinciale. Puis elle avance un autre chiffre. Si sa province compte aujourd’hui plus de 200 religieuses, dans sept ans, en 2030, elles ne seront plus que 55. C’est bien peu pour une telle charge administrative.
«Cette constatation nous oblige à prendre dès aujourd’hui des décisions importantes», dit-elle.