Un prêtre influent de l’archidiocèse de Montréal est sous le coup d’une suspension temporaire, révèle le second rapport trimestriel de l’ombudsman Marie Christine Kirouack, l’avocate montréalaise à qui Mgr Christian Lépine a confié la responsabilité de recevoir et de traiter toutes les plaintes pour abus et comportements inappropriés commis par des membres du clergé ou du personnel diocésain.
Les autorités religieuses mènent présentement une enquête sur ce prêtre qui est présenté comme un «acteur» du processus de plainte mis en place afin de protéger les victimes d’abus. On cherche à déterminer si «ses retards, ses omissions et ses demi-vérités» ne sont que «simple négligence» ou encore s’il a «omis volontairement de participer au processus, voire d’y mettre un frein». On veut aussi savoir si ce prêtre, dont l’identité n’est pas dévoilée, a agi seul ou s’il a été aidé par d’autres membres du personnel ou du clergé.
Dans son rapport de 17 pages rendu public le 15 décembre 2021, Me Kirouack confirme aussi qu’un autre prêtre diocésain, nommé dans une récente plainte, aurait exercé des représailles contre la personne qui l’a dénoncé. C’est la victime qui aurait elle-même informé l’ombudsman de cette «inconduite publique».
«Fort de cette expérience et afin d’assurer que dans l’avenir aucun plaignant ne soit soumis à quelques formes de représailles, soit directement par la personne visée par la plainte, soit par des personnes interposées», le règlement diocésain sur le traitement des plaintes a aussitôt été modifié, à sa demande, explique-t-elle. Le Comité consultatif, responsable de l’étude des plaintes, devra dorénavant «prioriser la protection des victimes» tandis que l’archevêque de Montréal pourra émettre «une ordonnance qui enjoint la personne visée par la plainte de ne pas en discuter et de ne pas communiquer avec le plaignant».
«Je vous assure qu’une telle situation ne se reproduira plus», martèle Me Kirouack lors d’une entrevue téléphonique.
75 plaintes formelles
Depuis sa nomination à titre d’ombudsman, le 5 mai 2021, l’avocate montréalaise a recueilli, traité et acheminé pas moins de 75 plaintes. Plus de la moitié d’entre elles, soit 46, concernaient des abus de différents types, en majorité des abus sexuels (30 plaintes). Suivent les abus psychologiques (9 plaintes) et les abus physiques (4 plaintes).
Ces dénonciations ont été acheminées au Comité consultatif chargé de l’étude des plaintes d’abus. Ce comité doit émettre ses recommandations à l’archevêque de Montréal, Mgr Christian Lépine. Le second rapport trimestriel de l’ombudsman ne mentionne ni le nombre ni la nature des sanctions qui ont été infligées aux membres du clergé et aux laïcs depuis la création de ce poste.
Le document indique que quarante-trois abuseurs présumés ont été dénoncés par les victimes. Trois sont des laïcs, 18 sont des prêtres, membres du clergé diocésain, tandis que 22 sont des religieux liés à des congrégations ou instituts présents sur le territoire de l’archidiocèse.
Marie Christine Kirouack confie avoir acheminé une lettre aux supérieurs de neuf communautés «leur demandant plus d’informations et, le cas échéant, de faire enquête» sur certains de leurs membres qui n’ont pas été à l’emploi de paroisses ou des services diocésains. Si certaines communautés «ont été très proactives», d’autres «se sont montrées plus rébarbatives», écrit-elle. Des supérieurs ont «pris beaucoup de temps à répondre» alors que d’autres ont répondu à ses questions d’une manière «la plus succincte possible». «En tant qu’avocate, disons que j’aurais bien aimé mener un contre-interrogatoire afin d’obtenir des réponses satisfaisantes», lance-t-elle.
Vingt-neuf plaintes formelles, reçues et traitées par l’ombudsman, n’étaient toutefois pas liées à des abus. Vingt ont plutôt évoqué des tensions ou des difficultés entre des employés ou des bénévoles et un membre du clergé. Ces plaintes ont alors été remises à l’Office du personnel pastoral. Enfin, neuf plaintes ont été dirigées vers le vicaire général, Mgr Alain Faubert. Elles concernent l’entretien des cimetières locaux, la tenue de funérailles à l’église et les relations de travail.
Seule au poste
Au Canada, seul l’archidiocèse de Montréal a créé, à ce jour, un poste d’ombudsman afin de recevoir les plaintes contre des membres du clergé et d’informer les plaignants, au terme du processus d’enquête, de la sanction que l’archevêque imposera ou non aux fautifs.
Marie Christine Kirouack croit-elle que tous les diocèses canadiens devraient créer un tel poste indépendant? «La question ne se pose même pas», répond-elle. «Voyez l’armée canadienne, voyez les fédérations sportives.» Ces exemples devraient nous convaincre que «ça prend un ombudsman indépendant pour recevoir et étudier les plaintes, certainement pas une structure hiérarchique».
Tous les diocèses canadiens devraient donc «adopter le principe d’un ombudsman quitte à ce que de petits diocèses puissent travailler de manière conjointe, à deux ou à trois».
Elle rappelle que, dans le site Web de l’archidiocèse de Montréal, «les protocoles et les règlements» que prêtres, religieux et laïcs doivent respecter, sont disponibles en ligne, en français comme en anglais. «Venez sans gêne faire du copier-coller», lance-t-elle aux évêques catholiques de tout le Canada.