Nommée ombudsman de l’archidiocèse de Montréal en mai 2021, Me Marie Christine Kirouack révèle que les trois premiers mois de l’année 2022 ont été passablement difficiles. Les tensions étaient même si nombreuses qu’un «nombre important de réunions de mise au point» ont dû être tenues avec les autorités diocésaines, a-t-elle noté dans son troisième rapport depuis son entrée en fonctions.
L’avocate montréalaise, à qui l’archevêque Christian Lépine a confié la responsabilité de recevoir et de traiter toutes les plaintes pour abus et comportements inappropriés commis par des membres du clergé ou du personnel diocésain, a remis le 30 mars 2022 un rapport trimestriel particulièrement cinglant. Son rapport de 13 pages dénonce «le non-respect des délais et l’absence de suivi dans la mise en place de certaines recommandations» faites par les différents comités ou instances qui ont étudié les 95 plaintes qu’elle a reçues et analysées depuis mai 2021.
À la fin de son rapport, elle va jusqu’à conclure que le «virage amorcé depuis neuf mois demande un important changement de culture, lequel ne s’effectuera que s’il vient clairement et sans équivoque directement d’en haut».
Nonchalance dénoncée
Me Kirouack évoque dans son rapport certains gestes de nonchalance, d’incurie et même d’insubordination de la part de certaines autorités diocésaines, de membres du personnel de l’archidiocèse ou encore des personnes qui ont fait l’objet d’une plainte.
Elle raconte, par exemple, que le 29 juillet 2021, le Comité consultatif de l’archevêque de Montréal, formé notamment d’un survivant d’abus, d’un médecin, d’un avocat et d’un enquêteur retraité du Service de police de la Ville de Montréal, a recommandé d’envoyer une lettre de rappel à une congrégation religieuse concernant une affaire en cours. L’archevêque Christian Lépine n’a entériné cette recommandation que quatre mois plus tard, soit le 26 novembre 2021. Pire, souligne-t-elle le jour de la remise de son rapport, cette lettre «n’a toujours pas été envoyée».
L’ombudsman regrette aussi «l’absence de suivi quant aux gestes que doit poser une personne visée par une plainte, après l’étude de celle-ci». Là encore, elle cite un exemple. «Une personne devait rétablir la position de l’Église sur les vaccins et s’amender publiquement», indique-t-elle, sans préciser le nom ou le titre de la personne fautive. Cette personne «a fait savoir qu’elle n’entend pas s’excuser», ajoute Me Kirouack qui ne peut qu’observer et déplorer «l’absence de sanction en cas de non-respect» d’une décision disciplinaire ou administrative.
Me Kirouack dénonce de plus «les délais dans l’avancement des enquêtes causés par la résistance de certains au changement». Ces personnes en autorité – qui ne sont pas nommées dans son rapport – ne transfèrent tout simplement pas les documents demandés, et cela, «volontairement, par omission, négligence ou refus».
Avertissements flous
Un autre élément de tension évoqué par l’ombudsman est le contenu des «lettres de monition» (un terme employé par les autorités religieuses et synonyme d’avertissement) envoyées aux personnes qui ont fait l’objet de plaintes. À son avis, certaines lettres sont si maladroitement rédigées qu’elles donnent «à penser que les faits reprochés n’étaient somme toute qu’une mauvaise interprétation des plaignants». Dans deux cas, l’un pour avances sexuelles, l’autre pour attaques personnelles et de nature sexiste, l’ombudsman a dû exiger, le 12 décembre 2021, «la rédaction et l’envoi de nouvelles lettres de monition claires et sans équivoque».
«Trois mois plus tard, je les attends toujours», écrit l’ombudsman.
«Neuf mois en poste me démontrent le sérieux et l’importance de savoir que faire des membres du clergé qui sont l’objet de plaintes pour abus qui ont été retenues et qui ne nécessitent pas leur « laïcisation »», avance l’ombudsman. Afin de «garantir la non-reprise des comportements reprochés», elle avance qu’une «réflexion sérieuse doit s’amorcer sur le « quoi faire » et le « comment faire » dans ces situations pour prendre les mesures disciplinaires appropriées et garantir leur application».
Au terme de son rapport, Me Marie Christine Kirouack dit espérer des réformes importantes, non pas dans le rôle qu’on lui a confié, mais plutôt dans la réception des demandes qu’elle achemine au nom des victimes.
L’archevêque doit donner l’exemple
«Le virage amorcé depuis 9 mois demande un important changement de culture, lequel ne s’effectuera que s’il vient clairement et sans équivoque directement d’en haut», écrit-elle. «De l’archevêque [Christian Lépine] en descendant», précise-t-elle lors d’un bref entretien téléphonique. «Exemple, s’il y a une formation sur la gestion des abus, il faut que ce soit clair: c’est obligatoire pour tous. La présence à une telle formation n’est pas négociable, ce n’est pas discutable.»
«Ce n’est que de cette façon que les personnes réticentes aux changements emboîteront le pas à la présente réforme. Ainsi et seulement ainsi, celles-ci pourront-elles saisir qu’il en va aussi de leur avenir et de l’avenir de leur Église.»
«Sinon, craint-elle, ce processus ne sera qu’un miroir aux alouettes dont les victimes en paieront le prix. Je suis d’opinion qu’elles ont déjà assez payé.»
Statistiques
Entre le 5 mai 2021 et le 25 mars 2022, Me Marie Christine Kirouack a reçu et analysé 95 plaintes formelles contre des prêtres ou des employés de l’archidiocèse. De ce nombre, 53 étaient liées à des abus (plus de la moitié étaient des abus sexuels).
Vingt-deux plaintes concernaient des problèmes ou des mésententes entre des employés, des membres du clergé et des responsables paroissiaux. L’Office du personnel pastoral est responsable d’étudier ces cas. Enfin, l’ombudsman a reçu et documenté 20 plaintes qui ne relèvent pas de son mandat. Elles ont rapidement été acheminées aux vicaires généraux de l’archidiocèse et sont liées à l’administration des cimetières, la tenue de funérailles, l’exigence du passeport vaccinal, les recherches dans les registres paroissiaux et les demandes d’apostasie.
L’ombudsman indique que depuis sa nomination, 39 plaintes d’abus ont été retenues par les autorités diocésaines, 4 ont été rejetées et 3 ont été fermées par manque d’informations. De plus, «une plainte a été retirée par la plaignante avant son étude», écrit-elle.