La gestion par le Vatican des allégations d’inconduite sexuelle déposées contre le cardinal Marc Ouellet est qualifiée de «déconcertante» par le National Catholic Reporter (NCR). Cet influent hebdomadaire américain demande même qu’un nouvel enquêteur soit nommé dans cette affaire.
L’éditorial de la plus récente édition du NCR, un texte non signé mais rédigé collectivement comme c’est l’habitude dans ce média, est intitulé Le traitement par le Vatican des allégations contre le cardinal Ouellet est déconcertant.
On déplore d’abord le très long délai entre la réception de la plainte, en janvier 2021, et la réponse du Vatican. «Bien qu’il puisse être judicieux de garder le silence sur les allégations contre un fonctionnaire pendant qu’une enquête est en cours, il est difficile de croire qu’il faut 18 mois pour qu’une telle enquête soit conclue».
Un autre élément, admis par le Vatican le 18 août, «ne fait aucun sens» aux yeux de l’équipe éditoriale. Les autorités de l’Église catholique ont révélé que «la personne chargée d’enquêter sur l’affaire [est] un proche associé du prélat accusé». C’est «tout simplement absurde», écrit le NCR.
Bien que le cardinal Ouellet ait rejeté les «fausses accusations» de la plaignante québécoise, qui donc «peut faire confiance aux résultats d’une enquête menée par une personne ayant un lien aussi étroit avec l’accusé?», demande le journal, un média indépendant, dans son édition du 24 août 2022.
«Le seul remède ici est la transparence. [Le pape] François et le Vatican doivent maintenant expliquer clairement comment [le jésuite Jacques] Servais a mené son enquête sur les allégations et ce qu’il a trouvé ou non.»
«Le pape devrait également envisager de demander à un autre enquêteur de réexaminer les conclusions», suggère-t-on.
Le dernier de la liste
Le théologien Jean-Guy Nadeau ne comprend toujours pas pourquoi le pape François a confié au jésuite Jacques Servais cette pré-enquête sur des allégations reçues en janvier 2021. «Le pape connaît Servais, qui dirige un important centre à Rome. Il connaît aussi le cardinal. Mais il ne savait pas que les deux se connaissaient? Je ne comprends pas», dit l’auteur d’Une profonde blessure (Médiaspaul, 2020), un livre incontournable sur les abus sexuels dans l’Église catholique.
Pire, ajoute-t-il, «c’est un des personnages les plus importants de l’Église catholique qui est accusé et le pape confie le soin de mener une pré-enquête à quelqu’un qui n’en a jamais fait et qui ne sait pas quoi faire avec cela», tonne-t-il.
«Selon moi, le nom du jésuite devait être le dernier dans la liste des enquêteurs disponibles. Et c’est lui que le pape a choisi? Je ne comprends pas.»
«Cela vient mettre un soupçon sur tout le processus et ça diminue la crédibilité du rapport qui sera éventuellement fait» et rendu public dans son intégralité, espère-t-il. L’expert ne croit pas que la brève note publiée par le père Servais le jeudi 17 août soit un rapport d’enquête sur des allégations contre une personnalité de l’envergure du cardinal Ouellet.
Soin pastoral pour les victimes
Jean-Guy Nadeau connaît bien chacun des 19 articles du motu proprio Vos estis lux mundi promulgué par le pape François en mai 2019. Il rappelle que le titre français de ce document est Vous êtes la lumière du monde, un verset biblique. Il souligne aussi que dans l’évangile de Matthieu, les mots qui suivent ce verset sont: «On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais pour que sa lumière brille».
L’expert estime que «les victimes d’abus sexuels ont allumé une lampe». Mais, «ce ne sont pas les évêques qui la font briller», déplore-t-il.
«La vérité, ils ne semblent pas la chercher très fort.» Sauf dans l’archidiocèse de Montréal où l’archevêque Christian Lépine multiplie enquêtes et initiatives pour «faire la lumière» sur les abus commis par des membres du clergé, observe-t-il.
Il rappelle que l’article 5 de Vos estis lux mundi exige que les «autorités ecclésiastiques» prennent soin «de ceux qui affirment avoir été offensés», qu’ils soient traités «avec dignité et respect» et qu’ils leur offrent «un accueil, une écoute et un accompagnement» et même «une assistance spirituelle».
«Ça, c’est la job des pasteurs», dit Jean-Guy Nadeau. «Mais actuellement, ce sont les avocats qui prennent soin des victimes. Pas les évêques», déplore-t-il.
Il reconnaît que les évêques d’aujourd’hui sont «des gens qui ont du cœur» et qu’ils doivent «réparer les pots cassés» de leurs prédécesseurs.
«Ils héritent de dossiers pour lesquels ils n’ont pas été préparés». Le professeur honoraire (Université de Montréal) rappelle que les cours sur les abus sexuels au Grand Séminaire, «il n’y en avait pas» au moment de leurs études.
«Mais ce n’est pas une raison pour fuir» leurs responsabilités, dit-il. Ni pour se réfugier dans «un silence entêté» quand des allégations sont déposées ou qu’elles sont rendues publiques, comme ce fut le cas cette semaine.