Le Conseil de presse du Québec a retenu une plainte pour propos discriminatoire envers les juifs hassidiques contre l’auteur d’une chronique dans Le Journal de Montréal et a rejeté les plaintes contre un chroniqueur du Devoir accusé de propager des préjugés envers les musulmans.
Le jeudi 5 mai 2022, le tribunal d’honneur des médias québécois a rendu publiques six décisions relatives à des plaintes qu’on lui avait soumises. Deux de ces décisions concernent directement les membres de religions présentes au Québec, les juifs et les musulmans.
Journal de Montréal
Le 24 janvier 2021, le chroniqueur Richard Martineau a publié, dans Le Journal de Montréal, un texte d’opinion lié à des événements survenus la veille et l’avant-veille dans deux synagogues d’Outremont. Alors que les lieux de culte étaient fermés en raison de la pandémie, les forces policières ont dû intervenir afin de mettre fin à des rassemblements illégaux dans des synagogues de la communauté hassidique.
«Visiblement, certaines personnes au sein de cette communauté se foutent totalement de la loi», avait-il écrit dans une chronique intitulée «Vous êtes Québécois, oui ou non?».
Dans sa chronique, Richard Martineau racontait qu’il a déjà habité dans l’arrondissement Outremont et qu’il était alors voisin de juifs sépharades avec qui il entretenait d’excellents rapports. Un jour, ces voisins ont quitté le quartier. «La maison qu’ils louaient avait été achetée par une famille hassidique qui devait s’y installer». Mais la vente n’aurait finalement pas lieu, a confirmé une agente immobilière au chroniqueur «Ils ont décidé de ne pas habiter la maison, car ils trouvent qu’il n’y a pas suffisamment de juifs hassidiques sur cette rue.»
«Imaginez un Québécois blanc et catholique qui dirait: « Je ne déménagerai pas dans tel quartier, car je trouve qu’il y a trop de Juifs (ou trop de Noirs)… »», lançait le chroniqueur du Journal de Montréal. «Il y a un mot qu’on utiliserait pour définir un tel comportement: racisme. Mais c’étaient des juifs hassidiques. Alors il ne fallait pas le prendre personnel», continue-t-il.
Pour le Conseil de presse du Québec, «en alimentant le préjugé selon lequel les juifs hassidiques sont racistes, le chroniqueur suscite le mépris envers ce groupe, parce qu’il est socialement inacceptable d’être raciste». De plus, son opinion n’est aucunement fondée sur des faits. Enfin, «Richard Martineau entretient le préjugé selon lequel il y aurait de « bons » juifs, les sépharades, et de « mauvais » juifs, les hassidiques, et ce, parce que ces derniers « vivent entre eux » et ont des comportements qui témoignent de « racisme »».
Au terme de sa décision, l’organisme a déploré «le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse et n’a pas répondu à la présente plainte».
Le Devoir
Le chroniqueur Jean-François Lisée a publié, le 16 janvier 2021, sur le site Internet du Devoir, un texte intitulé «Une bonne semaine pour l’islam». Sa chronique débutait ainsi: «La semaine a été bonne pour les organisations de promotion de l’islam et pour leurs idées. Un peu moins bonne, cependant, pour nos concitoyennes musulmanes non pratiquantes. Moins bonne encore pour les partisans de la laïcité.»
Jean-François Lisée y commentait la nomination de Bochra Manaï, une ancienne porte-parole du Conseil national des musulmans canadiens, à titre de commissaire à la lutte contre le racisme à Montréal, l’arrivée d’Omar Alghabra, ex-président de la Fédération canado-arabe, comme ministre fédéral des Transports et l’engagement de la journaliste Ginella Massa, une musulmane voilée, à l’animation d’une émission d’affaires publiques du réseau anglais de Radio-Canada.
Pour le chroniqueur, «l’affiliation religieuse des personnes choisies n’est en rien problématique». Ce qui doit soulever des interrogations, estime-t-il, ce sont «le lien de deux d’entre eux avec des lobbies communautaires et religieux» et le symbole religieux que porte une journaliste censée être neutre et objective. «La CBC offre une publicité quotidienne à l’islam voilé», déplore-t-il.
Tant le titre de la chronique que son contenu ont fait l’objet de plaintes au Conseil de presse du Québec.
Rappelant d’abord que les titres et les autres éléments d’habillage d’un article relèvent de la responsabilité des médias et non pas des journalistes, le tribunal d’honneur a rejeté le grief de «titre sensationnaliste». Les cinq mots qui coiffent son texte, «indéniablement accrocheurs et provocateurs», a volontiers reconnu Le Devoir, reflètent bien «l’opinion de M. Lisée selon laquelle ces nominations représentent « une bonne semaine pour l’islam »», rien de plus. Oui, ce titre «vise une religion, l’islam» mais il ne «discrimine pas les individus qui la pratiquent», tranche le Conseil de presse.
Une plaignante a fortement déploré l’argumentation du chroniqueur qui «critique et remet en question la nomination totalement indépendante de trois personnes à des postes d’influence en se basant sur leur appartenance religieuse, ce qui constitue de la pure discrimination basée sur la religion et les croyances».
Mais cela n’est pas l’avis des six membres du comité des plaintes. «Les journalistes d’opinion peuvent critiquer des personnes ou des groupes, même très durement, sans pour autant attiser, sur la base d’un motif discriminatoire comme la religion, la haine et le mépris, encourager la violence ou entretenir les préjugés», écrivent-ils. Dans son texte, «Jean-François Lisée critique les idées et les gestes des trois personnes visées, non pas le fait qu’elles soient de confession musulmane».
Les plaintes pour discrimination et titre sensationnaliste ont donc été rejetées.