Le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) et l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) veulent que la directive émise par le ministre de l’Éducation Bernard Drainville interdisant l’établissement de lieux de prière dans les écoles québécoises soit abrogée. Parce que cette directive ministérielle viole les libertés individuelles et religieuses des étudiants, les deux organismes s’adressent à la Cour supérieure afin que le tribunal la déclare invalide.
«Les étudiants ont des droits. Ils ont droit à une éducation et ils ont également droit à la liberté religieuse. Ces droits sont garantis à tous les élèves de la même manière», a déclaré Harini Sivalingam, directrice de l’égalité auprès de l’ACLC. «Cette directive empêche les étudiants d’exercer leurs droits».
Pour Stephen Brown, le directeur général du CNMC, le gouvernement du Québec va trop loin dans cette affaire. «Dans un pays démocratique et laïque, aucun gouvernement ne devrait dire à personne, encore moins aux enfants, comment prier», argumente-t-il.
«Nos enfants ne devraient pas avoir à faire face au gouvernement qui se mêle à leurs vies spirituelles. On ne peut pas permettre que l’État contrôle nos enfants dans les écoles – un lieu où ils devraient être en train d’apprendre et de grandir dans un environnement sécuritaire et encourageant, et ce indépendamment de leurs convictions religieuses.»
Le 19 avril 2023, le ministre Drainville a statué que les centres de services scolaires doivent s’assurer de faire respecter, dans chacune des écoles qu’ils administrent, «qu’aucun lieu n’est utilisé, en fait et en apparence, à des fins de pratiques religieuses telles que des prières manifestes ou d’autres pratiques similaires».
Les deux organismes qui contestent cette directive déplorent que les enseignants et les membres de l’administration dans les diverses écoles publiques écopent d’une nouvelle tâche, celle «de surveiller comment les enfants effectuent un droit humain de base qui est protégé par la charte, soit le droit de pratiquer sa foi».
Les écoles et les salles de classe, réputées pour être des «endroits de sécurité et d’apprentissage», sont ainsi transformés en lieux «de conflit et de discrimination», disent les porte-parole du CNMC et l’ACLC.
Prier en cachette
Selon le dossier déposé au tribunal, la poursuite est intentée au nom d’un étudiant âgé de 16 ans. Un musulman pratiquant depuis son enfance, le jeune homme prie plusieurs fois par jour, sans suivre un horaire précis. Toutefois, durant l’été 2022, X – le nom de cet étudiant ne peut être révélé – «passe plus de temps à la mosquée, lit de manière plus attentive le Coran et approfondit sa foi». Depuis, «la prière à un moment précis de la journée devient une partie importante de sa pratique religieuse et une expression de la sincérité de sa foi».
En septembre 2022, l’étudiant en secondaire 4 prie systématiquement durant l’heure du dîner, à l’extérieur de l’école, «sur le terrain de tennis». En cas de mauvais temps, il cherche alors un endroit calme à l’intérieur de l’école. En octobre, alors que X et quelques autres élèves récitent leurs prières au court de tennis, «un membre du personnel de sécurité approche le groupe et leur indique qu’ils n’ont pas le droit de prier à l’école». Le groupe demande alors à la direction scolaire d’intervenir. On leur demande alors de remplir un «formulaire de demande d’accommodement».
Ce n’est qu’en janvier 2023 que l’école met à la disposition des étudiants «ayant complété de manière « satisfaisante » le formulaire de demande d’accommodement» un local. «La salle mise à la disposition de ces élèves est un petit gymnase. Une surveillante est présente pour contrôler l’accès au gymnase aux seuls étudiants autorisés en fonction d’une liste établie par le directeur de l’école», indiquent les documents judiciaires.
Mais le mercredi 3 mai 2023, le directeur de l’école se rend au gymnase tout juste avant le début de la prière et informe les élèves présents «qu’ils ne peuvent dorénavant plus utiliser cette salle pour prier». En raison de la directive du ministre Drainville, «la prière est par ailleurs interdite à l’école, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur».
Depuis, précise la poursuite, X continue de prier à l’école. «Cependant, il prie en cachette, soit à l’intérieur ou à l’extérieur» et se demande quelles sanctions il recevra s’«il est trouvé en train de prier à l’école».
Les deux organismes qui ont entamé cette contestation judiciaire déplorent la discrimination exercée envers les élèves qui sont pratiquants. L’école et le gouvernement ne veulent pas «que tu pratiques ta religion», écrivent-ils dans la poursuite qui a été déposée en Cour supérieure. «Ta prière est un affront aux valeurs de notre société. Si tu veux agir conformément à tes croyances, tu dois te cacher ou en subir les conséquences». Pour l’ACLC et le CNMC, «il s’agit d’un message humiliant qui porte grossièrement atteinte à la dignité de l’enfant».