«Il manque un nom dans cette liste», s’est écrié Laurent Desbois. En apprenant que la province canadienne des jésuites venait de rendre publics les noms des religieux qui ont fait l’objet d’allégations crédibles d’abus sexuels à l’endroit de personnes mineures depuis le début des années 1950, le retraité de 75 ans s’est empressé, lundi, de télécharger la liste des abuseurs présumés déposée dans le site Web de la congrégation.
Il avait beau relire attentivement chacun des 27 noms qui s’y trouvaient, il était forcé d’admettre que celui d’un frère jésuite qu’il a connu au collège qu’il a fréquenté de 1961 à 1966 avait été oublié.
Pas question pour Laurent Desbois de demeurer silencieux devant cette omission.
Dans la page Facebook des Jésuites du Canada, il a d’abord rappelé que «Gilles Deslauriers était frère jésuite au Collège du Sacré-Cœur de Sudbury». Et qu’il était «de notoriété publique» que ce religieux «était déjà pédophile». Comme pour convaincre les Jésuites qu’il n’avait pas, lui, oublié ce religieux, il a joint à son propos un lien vers un article de Radio-Canada qui mentionne que celui qui est devenu prêtre au diocèse d’Alexandria-Cornwall dans les années 1960 avait plaidé coupable à quatre chefs pour grossière indécence en 1986.
«Tout le monde savait»
Laurent Desbois ne comprend pas pourquoi le nom de Gilles Deslauriers n’apparait pas dans la liste rendue publique lundi par les jésuites. Est-il possible que les supérieurs jésuites du collège n’aient jamais été prévenus des gestes qu’il a posés contre ses camarades? «Ce n’est pas possible. Tout le monde au collège le savait. Les autorités devaient forcément être au courant», dit-il au téléphone. «À l’époque, il est vrai que les religieux étaient hautement considérés dans la société. Mais à l’intérieur du collège, on savait», insiste-t-il.
N’empêche que chaque fois que l’abbé Deslauriers s’est présenté devant les tribunaux ou a été interpellé par des policiers, les médias n’ont jamais mentionné qu’avant d’être ordonné prêtre par Mgr Adolphe Proulx, alors évêque d’Alexandria-Cornwall, il a d’abord été frère chez les jésuites.
Présence a toutefois retrouvé, dans une édition de novembre 1980 du journal Le Droit, un reportage consacré à Gilles Deslauriers, le nouvel animateur de pastorale de l’école secondaire catholique La-Citadelle de Cornwall. Le journaliste du quotidien le présente comme «celui qui écoute, celui qui fait des blagues, celui qui s’intéresse vraiment à toi, celui qu’on invite à toutes sortes d’activités».
Selon ce reportage, l’abbé est né à Montréal en 1937 et «est entré» chez les jésuites en 1954, à l’âge de 17 ans. Missionnaire en Haïti en 1958 jusqu’à son expulsion du pays, ses supérieurs «l’envoyèrent au collège Sacré-Cœur de Sudbury et il y remplit différentes tâches administratives et éducatives jusqu’en 1967», précisément durant la période où le jeune Laurent Desbois y est un étudiant.
C’est en 1967 que le jésuite Deslauriers «décida de changer d’orientation et [de] se consacrer au diocèse d’Alexandria-Cornwall en qualité de prêtre diocésain», écrit-on.
C’est bien lui
Laurent Desbois a vu aussi cet article du journal Le Droit. Ainsi que cette grande photo qui accompagne le reportage. «Je n’ai pas eu le temps de lire l’article mais, 50 ans plus tard, je le reconnais sans aucun doute, c’est bien sa face…», lance-t-il en serrant les dents, toujours en colère.
Présence a demandé à la province des Jésuites du Canada d’expliquer pourquoi le nom de Gilles Deslauriers n’apparaît pas dans sa liste rendue publique lundi, puisque ce prêtre a été un moment membre de cet ordre. Les archives jésuites ne contiendraient-elle aucune mention d’allégations contre lui? L’ordre religieux entend-il ajouter un 28e nom sur la foi du témoignage de Laurent Desbois?
Au moment de publier, la congrégation n’avait pas pu répondre à ces questions, «débordée par les demandes» reçues après la publication de cette liste de jésuites qui ont fait l’objet d’une ou de plusieurs allégations d’abus sexuels contre des mineurs.
Les Jésuites du Canada avaient prévenu, lundi, qu’un «examen aussi exhaustif que possible des dossiers avait été effectué» mais, qu’il «est toujours possible que d’autres noms apparaissent».
«Cette liste doit être considérée comme un document vivant, qui pourra être complété ou modifié à l’avenir, au fur et à mesure que des informations supplémentaires seront présentées», a expliqué le jésuite Erik Oland, le supérieur provincial. Laurent Desbois a compris ces mots du père Oland comme une invitation à témoigner.
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*Note de la rédaction: le jeudi 16 mars 2023, à 15 h 15, les Jésuites du Canada ont indiqué que «le frère Gilles Deslauriers ne figurait pas dans nos fichiers au titre de délinquant, mais nous disposons des dossiers relatifs à son passage dans la Compagnie de Jésus. Nous allons examiner ces dossiers».