«Mon travail auprès de l’Église catholique à Montréal prend fin», annonce la juge à la retraite Pepita G. Capriolo, dans une lettre qui est annexée à la toute fin du rapport qu’a rendu public ce matin l’ombudsman de l’archidiocèse de Montréal.
La juge Capriolo, qui signait il y a deux ans un rapport accablant sur la gestion du cas de l’abbé Brian Boucher par les autorités de l’archidiocèse de Montréal et même par des responsables du Vatican, révèle aujourd’hui qu’elle quitte la co-présidence du Comité de mise en œuvre des 31 recommandations qui étaient insérées dans ce que l’on surnomme depuis Le rapport Capriolo.
«J’avais commencé mon mandat de co-présidente avec un réel enthousiasme et l’espoir de réaliser des changements importants qui feraient de l’Église catholique à Montréal un exemple de transparence et de prise de responsabilité face aux victimes d’abus», écrit-elle dans une lettre datée du 7 décembre, le jour même de la remise du rapport de l’ombudsman à l’archevêque Christian Lépine.
Elle indique que «les nombreuses difficultés soulignées dans les derniers rapports de l’Ombudsman» l’ont incitée à démissionner. Ces difficultés «démontrent que, malgré les efforts de plusieurs intervenants de bonne foi, de graves problèmes subsistent dans la mise en œuvre des recommandations [de son rapport] et dans l’application des règlements, des politiques et des procédures approuvés par l’archevêque».
Voir l’article de Présence sur le 5e rapport de l’ombudsman.
Elle déplore «le délai inexcusable» dans le renvoi d’un vicaire épiscopal «alors que l’archevêque et les deux vicaires généraux avaient été mis au courant de fautes graves et de bris de confidentialité presque trois mois plus tôt». Elle se déclare «révoltée par le traitement inadmissible» qu’a subi un employé de l’archidiocèse qui travaille auprès de l’ombudsman.
Elle confie qu’«une goutte a fait déborder le vase pourtant profond de ma compréhension envers les situations que je sais être complexes». C’est la plainte qu’a déposée un employé de l’archidiocèse contre Me Kirouack auprès du bureau du syndic du Barreau du Québec.
«Vous comprendrez que ma confiance a été entamée par l’ensemble de ces dysfonctionnements qui ont perduré malgré mes nombreuses interventions, orales et écrites. Je ne peux continuer de participer à une instance qui est soumise à des pressions contradictoires venant peut-être de personnes et d’instances qui ne sont pas présentes lors de nos discussions et qui ne semblent pas partager la même vision d’une Église ouverte, transparente et soucieuse du bien-être des personnes les plus fragiles», écrit la juge à la retraite Pepita G. Capriolo.
Je me suis battue
En entrevue téléphonique, la juge Capriolo confirme que sa décision est toute récente. «La raison principale pour laquelle j’ai dû démissionner, c’est que je ne voulais pas avoir l’air de cautionner ce qui se faisait. Aussi longtemps que j’ai pensé jouer un rôle positif, que mes conseils servaient à quelque chose, je suis demeurée. Je me suis battue.»
«En fait, cela fait trois ans que je me bats. J’ai eu des disputes, c’est vrai, mais surtout j’ai vu des avancées dans la bonne direction.»
Mais dernièrement, confie-t-elle, elle a remarqué que «des pressions sont exercées sur l’archevêque [Christian Lépine]». On l’enjoint de «ne pas agir», de «ralentir» la cadence des changements, de «ne pas faire les choses aussi clairement, de manières aussi transparentes et aussi fortes» qu’il entend réaliser.
Elle donne cet exemple bien précis. Il a fallu six mois au comité qu’elle dirige pour rédiger «des procédures et des protocoles sur la gestion des plaintes d’abus sexuels dans l’archidiocèse et la formation de tout le personnel pastoral. Tout cela a été accepté par l’archevêque, «y compris une politique de sanctions contre ceux qui vont à l’encontre de ce qui est prévu» dans ces décrets et documents. Mais, «ces sanctions, on ne veut pas les appliquer».
Pour la juge à la retraite, «c’est le cléricalisme qui remonte en surface et c’est la peur de la transparence». Elle ajoute qu’on «ne veut pas qu’on sache, qu’on ne parle pas trop».
«Il y a une telle inertie», déplore-t-elle. Des gens lui disent : «tu dois comprendre, c’est un changement de culture qui est proposé». Elle est la première à reconnaître que le changement est nécessaire. Mais ce qu’elle n’accepte pas, ce sont «les lenteurs et les dysfonctionnements».
La solitude de l’archevêque
«Comprenez-moi bien, ce n’est pas l’archevêque [Christian Lépine] qui dit cela», précise la juge Capriolo.
«L’archevêque, lui, il est bien seul, tout en haut. Il y a une couche imperméable entre les fidèles et lui». Elle révèle que des gens l’arrêtent [elle] dans la rue, lui envoient des lettres et des commentaires. «On me remercie de ce que l’on fait. On me dit que ça donne de l’espoir aux fidèles catholiques de voir quelqu’un qui veut le changement.
«Je pense que si l’archevêque était capable de voir à travers ce mur imperméable et d’écouter les gens dans la rue, il s’apercevrait à quel point il est appuyé.»
«Mais, là-haut, il ne l’est pas du tout», confie-t-elle.
Est-il aussi isolé parmi ses confrères évêques de tout le Canada?
«Je ne suis pas dans le secret des dieux, pardon, dans le secret des évêques», lance-t-elle, amusée. «Mais ça ne m’étonnerait pas qu’il soit seul», là aussi au sein de la conférence épiscopale canadienne.
«Il doit avoir des ennemis partout parce qu’il est en train de faire un grand ménage et cela déplaît à ceux qui veulent le statut quo.»
Optimisme
Même si elle a remis sa démission, la juge Capriolo répète qu’elle demeure optimiste. «Si l’archevêque a la chance de faire ce qu’il veut, il va réussir. Et je vais vous dire pourquoi. C’est parce qu’il a l’appui du peuple, des croyants et des fidèles.»
«Et s’il a besoin de moi, je serai toujours prête à l’aider.»
«Mais je ne peux pas cautionner le système en vigueur présentement», tranche la juge Pepita G. Capriolo.
L’archevêque de Montréal n’a pas commenté de vive voix la démission de la juge Capriolo. Mais dans le communiqué qui accompagnait le 5e rapport de l’ombudsman, Mgr Christian Lépine déclare que sa «contribution, d’abord avec la préparation d’un rapport fouillé puis la mise en œuvre de ses recommandations, s’est avérée inestimable. De grands pas ont déjà été accomplis afin de sensibiliser, de former et de mobiliser le personnel et les bénévoles de l’Église catholique à Montréal, pour éviter toute situation d’abus».
«Nous poursuivons nos démarches avec détermination», assure-t-il.
Sur Le rapport Capriolo, relire ce texte de Présence publié le 26 novembre 2020.