En transmettant à Rome le dossier d’un prêtre accusé d’abus sexuels, le cardinal Jean-Claude Turcotte, archevêque de 1990 à 2012, a fait une déclaration mensongère au Vatican, révèle l’ombudsman de l’archidiocèse de Montréal.
Dans son rapport semestriel rendu public le mardi 20 juin 2023, Me Marie Christine Kirouack explique que lorsque des prêtres sont condamnés pour abus sexuels sur mineurs ou qu’ils admettent, lors d’une enquête préliminaire canonique, avoir posé des gestes de nature sexuelle sur des mineurs, leurs dossiers sont rapidement envoyés à la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF).
Mais, dans une affaire qu’il a fait connaître aux autorités religieuses à une date non précisée de son épiscopat, «l’ancien archevêque a menti à la CDF, les assurant que ‘les autorités civiles et judiciaires n’ont pas porté d’accusation à la suite des allégations’» de victimes. Pourtant, déplore l’ombudsman, ce prêtre «avait été arrêté quelques mois plus tôt et accusé d’abus sexuels sur mineur pour lesquels il sera par ailleurs condamné subséquemment».
Quand elle a découvert ce mensonge épiscopal, Me Kirouack a alerté l’archevêque Christian Lépine et une «lettre a été envoyée récemment à la CDF dans ce dossier».
Cette affaire est l’un des faits saillants que l’on trouve dans le sixième rapport qu’a rédigé l’ombudsman de l’archidiocèse depuis sa nomination en mai 2021. Le document de 28 pages rend compte des travaux et des enquêtes que mène Me Marie Christine Kirouack. Le rapport fournit aussi de nombreuses statistiques sur les plaintes qu’elle reçoit.
Le cinquième rapport
Dans son précédent rapport, publié en décembre 2022, Me Kirouack a vivement déploré les «ratés du processus» de réception, d’étude et de cheminement des plaintes qu’elle reçoit de victimes d’abus sexuels.
En colère, elle a révélé qu’un haut gradé de l’archidiocèse a «relayé des courriels en copie cachée à une personne extérieure, au mépris de la confidentialité du processus de plainte». Elle a dénoncé «les délais incompréhensibles dans le traitement de certains dossiers d’abus», des retards qui «inquiètent et fragilisent nos plaignants et remettent en question toute leur confiance dans le système de traitement des plaintes». Elle a même déclaré que l’archiviste qui collabore avec elle a été victime d’intimidation et a été invité à démissionner. Elle a aussi dévoilé qu’un employé diocésain a déposé contre elle une plainte auprès du Bureau du syndic du Barreau du Québec.
Dans son sixième rapport, publié sept mois plus tard, l’ombudsman de l’archidiocèse de Montréal révèle que «la situation de [son] archiviste a été réglée et [qu’]il est toujours en poste». Quant à la plainte logée contre elle, le syndic du Barreau l’a rejetée le mois dernier.
Elle indique aussi voir des «lueurs d’espoir» dans le travail qu’elle poursuit. Cela ne l’empêche pas de lancer une série de questions à la fin de son rapport.
«Est-ce que le processus de plaintes connaît encore des problèmes?» La réponse est oui. «Est-ce que tout le monde a pris les nouvelles habitudes d’envoyer tous les documents pour archivage?» «Hélas, pas encore», répond-elle. Et elle déplore de nouveau que «les délais sont encore trop longs tant pour les victimes que pour les personnes visées» par les allégations reçues des plaignants.
«Il n’est pas facile d’intégrer de grands changements dans une institution qui connaît sa propre façon de faire depuis de multiples décennies», reconnaît-elle. «Mais je vois çà et là, des lueurs d’espoir.»
Audit des archives
L’an dernier, Mgr Christian Lépine a confié à Me Kirouack un mandat additionnel, celui de «traiter tout ancien dossier de plainte ou d’abus qui n’aurait pas été traité par le passé de façon satisfaisante». L’archevêque de Montréal a pris cette décision après avoir reçu les résultats d’une enquête archivistique qu’il avait commandée au juge à la retraite André Denis. Dans cet audit effectué à Montréal ainsi que dans huit autres diocèses, pas moins de 87 prêtres abuseurs ont été identifiés. En plus de recevoir les plaintes de victimes, Me Kirouack doit aussi «traiter tout ancien dossier de plainte ou d’abus qui n’aurait pas été traité par le passé de façon satisfaisante».
Dans son sixième rapport, elle révèle qu’elle a acheminé directement à Mgr Lépine 20 dossiers évalués précédemment par le juge André Denis. Dans deux cas, elle a constaté que des pièces étaient manquantes. Elle a donc demandé à l’archevêque de Montréal si ces deux prêtres avaient bien été laïcisés par Rome. Dans un autre dossier d’abus, l’ombudsman souhaite «obtenir la confirmation du décès du prêtre». Me Kirouack a aussi remis 16 autres dossiers vus par le juge Denis au comité consultatif qui en fera l’analyse et émettra des recommandations à l’archevêque. Ces 16 prêtres «auraient fait au moins 30 victimes, des années soixante-dix à ce jour», a-t-elle découvert. Cinq de ces victimes était d’âge mineur.
Nom d’une rue
L’ombudsman montre, dans son sixième rapport, que les plaintes qu’elle reçoit de victimes alléguées peuvent avoir des incidences dans la société civile. Dans une affaire, explique-t-elle, «à la demande de Mgr Lépine», Me Kirouack révèle qu’elle mène ces jours-ci des démarches auprès des autorités de l’arrondissement de LaSalle à Montréal.
Elle indique qu’une rue de cet arrondissement a été «nommée en ‘honneur’ d’un prêtre qui a abusé sexuellement d’enfants». Elle souhaite que ce nom soit retiré. Il s’agit, écrit-elle de l’«un des vœux importants d’un de nos plaignants». Questionnée après la publication de son rapport, Me Kirouack n’a pas voulu révéler le nom de cette rue. Vérification faite auprès des services toponymiques de cet arrondissement montréalais, une douzaines de rues, d’avenues et de boulevards portent les noms de curés de paroisses francophones et anglophones, aujourd’hui tous décédés.
Statistiques
Depuis sa nomination, le 5 mai 2021, l’ombudsman a recueilli et traité 212 plaintes diverses.
De ce nombre, 76 plaintes d’abus (physique, psychologique, financier, sexuel) ont été soumises au comité consultatif responsables de conseiller l’archevêque Christian Lépine. Plus de la moitié de ces plaintes concernent des abus sexuels, indique Me Kirouack dans son rapport.
L’avocate ajoute que 83 plaintes ont aussi été remises aux vicaires généraux de l’archidiocèse. Ces plaintes ne visent pas des membres du clergé. Elles concernent plutôt la tenue de funérailles, des demandes d’apostasie ou encore des recherches généalogiques. Ces derniers mois, l’ombudsman confirme avoir reçu des plaintes en raison du conflit au cimetière Notre-Dame-des-Neiges.
Enfin, depuis deux ans, 53 plaintes ont été remises au directeur de l’Office du personnel pastoral. Les personnes plaignantes évoquent des problèmes et conflits entre des membres du personnel, des bénévoles en paroisse et des membres du clergé.