Le pape François a déclaré avoir été «frappé et ému» à la lecture de la lettre qu’il a reçue, il y a deux mois, de l’agente de pastorale Paméla Groleau.
Dans une lettre de deux pages, cet ex-employée de l’archidiocèse de Québec, a révélé au pape que, «ces deux dernières années, je les ai passées à tenter de me protéger des répercussions et des représailles que j’ai subies parce que j’ai naïvement demandé de l’aide à mon Église».
«Le pape m’a dit, lors d’une rencontre de l’Académie pour la vie, qu’il avait tout lu» et qu’il avait «été frappé et ému par les différents courriers dont celui de Paméla», explique la théologienne Marie-Jo Thiel, professeure émérite en éthique et théologie morale à l’Université de Strasbourg et auteure de L’Église catholique face aux abus sexuels sur mineurs (Bayard, 2019). En février 2023, elle était à Rome et participait à une rencontre de l’Académie pontificale pour la vie, une institution dont elle est membre depuis 2017.
L’agence de presse Présence a dévoilé de larges extraits de la lettre de Paméla Groleau. Interrogés sur son contenu, le président de la conférence épiscopale canadienne et celui de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec n’ont pas voulu commenter.
Réactions épiscopales
Le secrétaire général de la Conférence des évêques catholiques du Canada, l’abbé Jean Vézina, a d’abord brièvement répondu par courriel aux questions du journaliste. La conférence épiscopale «n’a pas le mandat d’enquêter, d’examiner ou de commenter des cas particuliers d’abus ou de dissimulation», a-t-il réagi.
L’abbé Vézina a ensuite expliqué que, «conformément à l’article 2 de Vos estis lux mundi, toute allégation de traitement inapproprié d’abus sexuels peut être signalée au moyen du Système canadien de signalement des abus sexuels commis ou dissimulés par un évêque catholique». Ce processus de signalement, faut-il mentionner, a été institué par les évêques canadiens en mai 2021, soit quatre mois après que Paméla Groleau ait acheminé sa première lettre au pape François, à la suggestion même des autorités de l’archidiocèse de Québec.
En entrevue téléphonique, le président de la CECC s’est fait plus direct. ««Le président de la Conférence des évêques catholiques du Canada n’est pas le directeur général des évêques», a tenu à préciser Mgr Raymond Poisson. «Je ne suis pas au courant. Je ne suis pas capable de faire la lumière sur cette affaire. Je ne sais rien.»
Durant l’échange qui a duré moins d’une minute, le journaliste a demandé à l’évêque de Saint-Jérôme-Mont-Laurier s’il ne craignait pas que des victimes n’utilisent plus les canaux de l’Église pour informer les autorités religieuses des abus dont elles sont victimes si elles sont ensuite ostracisées ou humiliées en raison de leur dénonciation, comme le déplore Paméla Groleau dans sa lettre au pape. «Certainement que les victimes doivent parler», insiste-t-il. Mgr Poisson assure, avant de clore la discussion, que «beaucoup de victimes n’ont pas de problèmes» après avoir pris la parole en Église.
Pas de commentaires
Mgr Christian Rodembourg, le président de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec, n’a pas répondu à nos demandes de commentaires.
Du côté de l’archidiocèse de Québec, le cardinal Gérald Lacroix n’a pas commenté le contenu de la lettre de Paméla Groleau. C’est pourtant lui qui avait encouragé l’agente de pastorale, en janvier 2021, à acheminer une première lettre au pape François afin de l’informer des gestes «de trop grande familiarité» que le cardinal Marc Ouellet aurait eus à son endroit. À titre de responsable du Comité diocésain pour la protection des personnes mineures ou vulnérables de l’archidiocèse de Québec, l’évêque auxiliaire Marc Pelchat connaît bien le dossier. Lui non plus n’a pas voulu commenter.
«Par respect pour les personnes impliquées et pour le processus judiciaire, nous ne commenterons pas le contenu de la lettre», a indiqué par courriel Valérie Roberge-Dion, la directrice des communications de l’archidiocèse de Québec.
«Nous réitérons notre confiance dans le processus d’accueil et de traitement des allégations dans le diocèse.»
Triste et dramatique
«C’est triste. C’est même dramatique ce que vit cette jeune femme», estime le théologien Jean-Guy Nadeau après avoir pris connaissance du contenu de la lettre que Paméla Groleau a acheminée au pape François. Il se demande même si le comité qui a reçu sa plainte fin 2020 n’a pas fait preuve lui-même de naïveté en l’invitant à dénoncer certains gestes. «C’est le comité diocésain qui lui a dit d’aller plus loin dans sa démarche» de dénonciation des prêtres qui l’ont blessée. «Et voilà qu’elle en subit ensuite des répercussions.»
L’auteur d’Une profonde blessure (Médiaspaul, 2020), un livre incontournable sur les abus sexuels dans l’Église catholique, n’en revient pas que l’agente de pastorale ait été victime de représailles. On lui aurait même «retiré [son] mandat pastoral sans raison pendant plus de sept mois», a-t-elle écrit dans sa lettre, un peu plus de deux ans après avoir acheminé au pape une première lettre avec l’encouragement même des autorités de l’archidiocèse de Québec.
«Bien sûr, dans toute institution, il y a des répercussions prévisibles» quand des gens osent prendre la parole et dénoncer des situations d’abus. «Mais de l’Église, les gens s’attendent à une autre réaction», lance-t-il.
Prendre soin
Il rappelle que le motu proprio Vos estis lux mundi, des règles sur le traitement des plaintes promulguées par le pape François lui-même, exige que les «autorités ecclésiastiques» prennent soin «de ceux qui affirment avoir été offensés», qu’ils les traitent «avec dignité et respect» et qu’ils leur offrent «un accueil, une écoute et un accompagnement» et même «une assistance spirituelle».
«Ça, c’est le travail des pasteurs», dit Jean-Guy Nadeau. «Mais actuellement, ce sont les avocats qui prennent soin des victimes et qui les écoutent. Pas les évêques», déplore-t-il. Dans sa lettre au pape, Paméla Groleau écrit qu’alors qu’elle était «à la recherche d’un visage de Dieu dans [l’Église], ce sont des avocats qui ont été ce visage divin». Ils l’ont accueillie «avec compassion et professionnalisme» et «ont été les premiers à écouter et à comprendre ma souffrance alors que l’Église m’avait arraché ma dignité, mon intimité et ma sécurité.»
«Les avocats écoutent les victimes et les évêques, eux, ils écoutent leurs avocats. Tout cela ne fait aucun sens», dit Jean-Guy Nadeau. «Pourquoi les avocats des évêques les empêchent-ils d’écouter les victimes?»
Changement de culture
Avec la crise des abus sexuels, l’Église catholique vit «un changement de culture majeur», estime le théologien qui a un temps œuvré au Centre pour la protection de l’enfance de l’Université pontificale grégorienne à Rome, un institut de formation lié à la Commission pontificale pour la protection des mineurs. «Et on se berce d’illusions quand on pense qu’une culture peut se virer sur un dix sous.» Il n’est donc pas surpris que des personnes qui osent dénoncer puissent être blessées. «La parole qui succède à des siècles d’omerta ne peut pas être bien reçue du premier coup.»
Jean-Guy Nadeau craint aussi que certaines personnes hésitent dorénavant à dénoncer des situations d’abus directement aux autorités religieuses. «Si j’étais membre du personnel diocésain et que quelqu’un d’important avait eu des gestes contre moi, je ne dirais rien», dit-il, tout en reconnaissant le courage dont a fait preuve Paméla Groleau depuis qu’elle a cogné à la porte, en décembre 2020, du Comité-conseil pour les abus sexuels envers mineurs ou personnes vulnérables de l’archidiocèse de Québec.
Il souhaite que des évêques, conscients des conséquences qu’entraînent les abus sexuels sur les victimes – et «il y a beaucoup de ces évêques», dit-il – «osent prendre à cœur ce qui arrive aux victimes qui dénoncent».
Enfin, Jean-Guy Nadeau fait alors remarquer que le pape a reçu directement la lettre de Paméla Groleau. «C’est la preuve qu’il existe, à l’intérieur de l’Église catholique, des réseaux qui sont favorables aux victimes».