Depuis sa nomination, il a y un peu plus d’un an, comme ombudsman de l’archidiocèse de Montréal, Me Marie Christine Kirouack a reçu pas moins de 123 plaintes formelles, dont 58 sont liées à des abus physiques, sexuels, psychologiques, financiers et spirituels. C’est l’une des données révélées par l’avocate, le mercredi 17 août 2022, dans son quatrième rapport trimestriel.
Soumises au comité diocésain chargé d’étudier les dénonciations et de faire des recommandations à l’archevêque Christian Lépine, les plaintes pour abus de toutes sortes visaient 26 membres du clergé, 32 membres de congrégations religieuses et quatre laïcs.
L’année dernière, Me Kirouack a reçu 33 plaintes pour abus sexuels. Quatre plaignants sur dix lui ont déclaré avoir été «victimes d’abus de façon répétée». Dans le cas d’abus physiques (10 cas), 80% des plaignants ont subi des «gestes de violence à répétition», écrit-elle.
Six dossiers étudiés durant l’année par le comité diocésain ont été menés à terme, indique enfin Me Kirouack, sans mentionner quelles sanctions ont reçu les personnes reconnues fautives ou encore si elles sont toujours actives ou décédées. Elle révèle toutefois qu’une enquête a conclu qu’un prêtre «a commis des abus psychologiques envers cinq personnes ainsi que des abus financiers envers l’une d’elles».
À la fin de son rapport, l’ombudsman constate que les plaintes qu’elle reçoit maintenant «concernent des faits de plus en plus contemporains». 42,5% des plaintes sont liées à des événements qui ont eu lieu depuis le début des années 2020.
«Évidemment, je préfèrerais que les seules plaintes qui me soient rapportées datent des années 1950 et 1960… ou même qu’aucune ne me soit rapportée», dit-elle en entrevue. Mais Me Kirouack maintient que ce sera une bonne nouvelle lorsqu’il y aura davantage de plaintes contemporaines qu’historiques. «Cela veut dire qu’on est en train de terminer le ménage».
«Les écuries d’Augias vont enfin être nettoyées.»
En fait, elle y voit la preuve que «le virage amorcé avec l’instauration du présent système [de signalement de plaintes] fonctionne», estime celle qui a reçu en mai 2021 des mains de l’archevêque de Montréal, le titre d’ombudsman et le mandat de «faire toute la lumière» sur les abus dans l’Église de Montréal.
L’effet cardinal Ouellet
L’Ombudsman reconnaît avoir reçu, en moyenne, une plainte tous les trois jours durant sa première année à ce poste. «Mais ces dernières 36 heures, je peux vous dire que ma cote de popularité a augmenté», lance Me Kirouack.
Alors que mardi, on apprenait qu’une agente de pastorale de Québec alléguait que le cardinal Ouellet, l’ex-archevêque de Québec, avait eu des comportements inappropriés envers elle, l’Ombudsman dit avoir reçu depuis pas moins de cinq plaintes et davantage de demandes d’informations sur le processus de dénonciation.
Des gens lui ont dit avoir été impressionnés d’apprendre qu’une jeune femme ait osé déposer une plainte contre un cardinal.
«Elle a eu le courage de dénoncer un cardinal. Cela m’a donné le courage de vous téléphoner pour dénoncer un prêtre de Montréal», a confié une plaignante à Me Kirouack. «J’ai vécu la même chose qu’elle», lui a dit une autre. Deux plaintes ont déjà été acheminées par l’ombudsman au comité diocésain chargé de les étudier.
Archives secrètes
Récemment, Mgr Christian Lépine a confié à Me Kirouack un nouveau mandat, celui de «traiter tout ancien dossier de plainte ou d’abus qui n’aurait pas été traité par le passé de façon satisfaisante». L’archevêque fait ici référence aux résultats d’une enquête archivistique qu’il avait commandée au juge à la retraite André Denis.
Après avoir examiné rigoureusement les dossiers de quelque 6809 prêtres, diacres et membres du personnel de neuf diocèses québécois – dont celui de Montréal -, ce juge a pu confirmer qu’entre 1940 et 2021, 87 abuseurs sexuels y ont sévi contre des enfants, des adolescents et des personnes vulnérables.
«Faites-nous une liste de tous les abuseurs que vous pouvez identifier» en consultant nos archives diocésaines, lui ont carrément demandé les évêques de Joliette, Saint-Jean-Longueuil, Saint-Jérôme, Valleyfield, Amos, Rouyn-Noranda et Mont-Laurier ainsi que les archevêques de Montréal et Gatineau.
Au terme de son enquête, André Denis a remis à chaque évêque un rapport distinct.
Le rapport sur les abuseurs présents dans l’archidiocèse de Montréal a été remis à Mgr Lépine qui l’a rapidement acheminé à Me Marie Christine Kirouack. «C’est plus de 300 pages» qui ont abouti sur son bureau, dit-elle.
Elle rappelle que le mandat du juge Denis concernait les seuls cas d’abus sexuels sur mineurs ou personnes vulnérables. Son mandat d’ombudsman est plus vaste: elle s’intéresse à toutes les formes d’abus ainsi qu’aux victimes de tous les âges.
«Mgr Lépine m’a accordé tous les pouvoirs nécessaires pour m’acquitter pleinement de cette tâche y compris l’accès complet aux archives secrètes» de l’archidiocèse, confie-elle.
Aussi, elle consacre «une bonne partie de [ses] énergies» à traiter des dossiers anciens «qui n’ont pas été traités du tout», qui ont été détruits mais pour lesquels on a conservé «une mention des abus qu’ils contenaient», ou encore qui ont été traités mais qui n’ont reçu aucun suivi. «J’ai déjà envoyé onze plaintes au comité consultatif», toutes liées à son «étude de certains de ces anciens dossiers».
«Mon prochain rapport sera plus complet», promet Me Marie Christine Kirouack.