Journaliste et chroniqueur durant 37 ans au quotidien La Tribune, Mario Goupil n’en revient pas encore. À la une de «son journal» mercredi matin, il découvre une affaire de réfection d’une rue qui suscite du mécontentement.
«J’étais pourtant convaincu que la manchette de La Tribune serait consacrée à ces dizaines de prêtres de l’archidiocèse de Sherbrooke, morts ou vivants, qui font l’objet d’une action collective pour agressions sexuelles», commente-t-il dans sa page Facebook personnelle.
C’est que mardi, le réseau de télévision TVA a dévoilé une longue liste de prêtres diocésains qui auraient commis des agressions sexuelles. Ce tableau compte 42 lignes, soit autant de victimes qui identifient formellement 33 prêtres (certains sont nommés deux ou même quatre fois, deux n’ont pas été identifiés) comme leurs agresseurs.
«Quelle affaire!», s’exclame Mario Goupil. «Du moins pour les gens de ma génération.»
Sa première réaction aura été de jeter un coup d’œil aux noms des auteurs présumés de ces agressions. Il ne cache pas son étonnement. Il a reconnu les noms de nombreux prêtres qu’il a interviewés alors qu’il était journaliste à La Tribune. «J’y ai retrouvé le curé qui a célébré mon premier mariage», écrit-il. Puis le nom du prêtre qui a baptisé ses filles.
Le chanoine Larouche
Quelques heures plus tard, contacté par téléphone, Mario Goupil est toujours sous le choc. Présence lui rappelle qu’en 2002, il a proposé aux lecteurs et lectrices de La Tribune un long portrait du chanoine Achille Larouche, un prêtre diocésain reconnu pour ses idées conservatrices. Le nom de ce prêtre fait partie de la liste dévoilée hier.
Ce que le journaliste retraité ne sait pas, c’est que dans la demande introductive d’instance (la poursuite) déposée au Palais de justice de Sherbrooke le 11 août 2023, les avocats des victimes ont consacré deux pages au témoignage d’une victime du chanoine Larouche.
Dans sa déposition, cet homme raconte qu’en 1973, alors qu’il était âgé de 8 ans, il aurait été «agressé sexuellement d’abord par l’abbé Achille Larouche et ensuite par l’abbé Ange-Aimé Montminy», les deux étant alors en poste à la paroisse de Waterville. Les agressions se seraient déroulées sur une période de cinq ans.
La victime indique aussi que l’abbé Montminy (1924-1997), ayant été «mis au courant» des agressions commises par son confrère Larouche, lui a offert de l’aide psychologique. Il l’emmenait régulièrement à des activités organisées par le mouvement Jeunesse du monde à Montréal. C’est durant ces séjours que cet abbé aurait aussi agressé celui qu’il prétendait aider.
Durant l’entrevue qu’il a réalisée avec le chanoine Larouche il y a vingt ans, le journaliste Mario Goupil lui a demandé ce qu’il pensait des scandales sexuels qui éclaboussaient alors l’Église catholique. «Je ne m’étonne pas», avait-il répondu.
«Il y a dans le monde beaucoup de libéralisme. Or, c’est ce même libéralisme qui a contaminé l’Église. Ce libéralisme a fait mettre de côté les valeurs doctrinales de l’Église depuis Vatican II.»

Le chanoine Achille Larouche est décédé en mars 2006. Quelques jours après son décès, Mario Goupil consacre à ce prêtre un autre article. Le titre de sa chronique: Droit jusqu’au bout.
D’autres noms
Dans la liste dévoilée hier – bien que ce tableau fasse partie des documents déposés il y a deux semaines au Palais de justice – on trouve aussi les noms de deux autres prêtres renommés, tant dans l’archidiocèse de Sherbrooke qu’à l’extérieur. Ce sont l’abbé Desève Cormier, fondateur et dirigeant de Caritas Estrie de 1955 à 1998, et l’abbé Robert Jolicoeur, un prêtre reconnu pour son dynamisme, son franc-parler et son avant-gardisme.
La poursuite contre l’archidiocèse de Sherbrooke propose un tout autre portrait de ce dernier prêtre, auteur du livre Le pari du cœur (Presses de la Renaissance, 2006).
Au milieu des années 1980, un adolescent – aujourd’hui un policier – affirme avoir été agressé par ce prêtre, alors son professeur au Séminaire salésien de Sherbrooke, une institution privée d’enseignement aujourd’hui appelée Le Salésien.
Le futur policier ainsi qu’un ami sont invités par l’abbé dans un restaurant de Magog où il leur «a fait boire du vin abondamment» avant de les emmener dans «un bar de danseuses nues situé au centre-ville de Magog». Peu après, dans un parc, l’abbé aurait empoigné les fesses du jeune homme qui l’a aussitôt repoussé et exigé qu’il le ramène chez ses parents. À son père, il raconte «l’entièreté de sa soirée». Puis, sa mère se rendra au Séminaire salésien afin de dénoncer la conduite de ce prêtre qui cessera d’y enseigner, apprend-on dans la requête judiciaire.
Responsabilités de l’Église
Les avocats des victimes plaident que les dirigeants actuels et antérieurs de l’archidiocèse de Sherbrooke doivent être tenus responsables des agressions commises en raison «de leur inaction et de leur omission d’instaurer des politiques et mesures de sécurité ou de surveillance permettant de prévenir et d’empêcher la récidive des agressions sexuelles qu’elles étaient à même d’anticiper vu la nature de leurs activités, et dont elles ont, dans les faits, eu connaissance».
La requête ne mentionne pas les montants des indemnités que l’archidiocèse versera si le recours collectif est approuvé. C’est en mai 2023 que le juge Sylvain Provencher de la Cour supérieure a autorisé cette action collective. À ce moment, le cabinet Arsenault Dufresne Wee Avocats avait indiqué que 15 victimes s’y étaient inscrites. Douze prêtres étaient alors identifiés comme agresseurs. Il avait aussi annoncé que les «parties ont décidé de négocier pour trouver un règlement à l’amiable».
L’archidiocèse de Sherbrooke a refusé de commenter le dévoilement de cette liste contenant les noms de 33 prêtres ainsi que le dépôt de la demande introductive d’instance par les avocats des victimes. «Étant donné que le dossier est devant la justice, nous ne commenterons pas», a indiqué Eliane Thibault, la responsable des communications de l’archidiocèse. «Toutefois, nous collaborons avec les autorités», assure-t-elle.
Toujours un observateur attentif de la scène sherbrookoise, Mario Goupil croit que l’archidiocèse voudra «acheter la paix» avant que cette affaire ne soit jugée et que «les détails de ces agressions ne soient rendus publics».
«Cela ne ferait qu’ajouter à la honte de l’Église», dit-il.