Le 12 mars 1941, en pleine guerre, un bateau égyptien, le Zam Zam, quitte le port de New York à destination du Basutoland (aujourd’hui le Lesotho). À son bord s’entasse une centaine de personnes, dont des missionnaires protestants et catholiques. Parmi eux, nous retrouvons des Québécois membres de la communauté des Oblats de Marie-Immaculée.
Malgré leur zèle, ils n’arrivèrent jamais à destination. À quelques jours de leur arrivée, le Zam Zam est coulé par la Kriegsmarine allemande. Les missionnaires survivants furent constitués prisonniers de guerre. La journaliste de Radio-Canada, Mireille Chayer, retrace leur histoire dans un balado, en quatre parties, intitulé Les oubliés du Zam Zam.
C’est en lisant un vieux livre qui traînait chez elle depuis un certain temps que commence cette quête… familiale. L’ouvrage, La perle au fond du gouffre, est un legs de sa grand-mère. Son auteur, l’oblat Eugène Nadeau, reconstitue le drame de ses confrères prisonniers derrière les barbelés. Selon le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, cet ouvrage, publié en 1949, a été un vrai best-seller puisque 80 000 exemplaires ont été imprimés au cours des années. Si son aïeule le conservait précieusement, c’est que l’un des missionnaires, Raoul Bergeron, n’était nul autre que son demi-frère.
«Quand j’ai découvert cette histoire, j’ai halluciné! Je me disais que cela ne se pouvait pas que personne dans ma famille ne m’avait raconté cette saga. Des missionnaires québécois qui se retrouvent dans des camps de prisonniers allemands pendant quatre ans! J’ai trouvé cette histoire complètement fascinante, abracadabrante! Je ne pouvais pas concevoir que, moi-même, je ne la connaissais pas», témoigne Mireille Chayer lors d’une entrevue accordée à Présence.
Le Basutoland
La journaliste est donc partie à la quête d’informations pouvant l’aider à comprendre les tenants et aboutissants de ce moment de l’histoire familiale qui se fondait dans celle plus large de la Seconde Guerre mondiale. Par-dessus tout, elle voulait mieux cerner Raoul Bergeron, son grand-oncle. C’est donc vers sa grand-mère qu’elle se tourne en premier.
Grâce à cette dernière et à d’autres membres de la famille, elle apprend que Raoul était un prêtre heureux qui aimait bien rire. Il n’était pas du tout austère. Lorsqu’il s’embarque vers le Basutoland en 1941 pour aller évangéliser sa population, il est un homme comblé dont le seul but est d’apporter le Christ en ce bout de terre africaine.
Bien qu’avide de découvrir la personnalité de son grand-oncle au destin si particulier, la journaliste se pose tout de même des questions sur la justesse de ces missions telles que promues, entre autres, par les Oblats de cette époque. «Je me demande si cela n’est pas un peu effronté d’aller si loin pour imposer ses croyances à des gens qui n’ont rien demandé», dit-elle dans le premier épisode de son balado.
En entrevue, elle avoue avoir eu des idées préconçues, «notamment sur les missions d’évangélisation» Afin de répondre à ses multiples questions, elle contacte les Oblats qui l’ont aidée à mieux cerner cette époque pré-vaticane et à découvrir ce qui pouvait bien animer des missionnaires comme son grand-oncle.
La quête de la journaliste lui fait croiser un représentant de la Croix-Rouge internationale et des chercheurs, dont un des auteurs du livre Missionnaires en terre barbelée. Des oblats prisonniers de guerre (1941-1945), publié en 2014 par les éditions Athéna.
Au fil des épisodes, les auditeurs finissent par comprendre que les missionnaires n’auraient jamais dû se retrouver derrière les barbelés des camps d’internement de prisonniers de guerre, car ils n’étaient pas des soldats. Cette situation était contraire aux règles en temps de guerre. Ironiquement, ce sont ces mêmes règles qui expliquent en partie leur présence dans ces camps. Selon les conventions internationales, les prisonniers ont des droits, dont celui de recevoir le support de leur religion. Les Allemands avaient de la difficulté à faire respecter ce droit, car on manquait de prêtres catholiques. Ils décidèrent donc de les garder captifs.
Des lettres révélatrices
Derrière les barbelés, les prêtres ont vite compris que leur nouvelle mission était de soutenir les prisonniers de guerre. Malgré une situation plus que précaire et la souffrance causée par le manque de nourriture, les missionnaires célébraient la messe et prodiguaient les rites d’usage à leurs compagnons d’infortune.
C’est grâce aux lettres qu’ils échangèrent avec les membres de leur famille et leur communauté religieuse que nous pouvons retracer leur difficile quotidien au sein de ces camps de prisonniers. Quelques-unes de leurs lettres ont été publiées dans le livre Missionnaires en terre barbelée.
Les missionnaires québécois furent libérés en 1945. Certains, comme Raoul Bergeron, ont été contraints de participer à une des marches forcées organisées par les nazis afin de déplacer les prisonniers de guerre et les captifs des camps de concentration et des camps d’extermination. Durant la marche, il a frôlé la mort. Un avion a bombardé les soldats allemands et, par conséquent, les prisonniers. Une bombe est tombée juste à l’endroit qu’il occupait quelques minutes auparavant. Un des prisonniers est mort dans ses bras.
Revenu au Québec à la fin de la guerre, Raoul Bergeron n’était plus le même homme. «Grâce à mon balado, toute la famille a compris que Raoul était atteint du syndrome de stress post-traumatique. Raoul a été très affecté par son expérience. Cependant, il n’en parlait presque pas. Avec le temps, il a réussi à reprendre une vie à peu près normale», explique Mireille Chayer.
Sur un ton plus personnel, la journaliste avoue dans son balado ne pas comprendre pourquoi des personnes se consacrent à un dieu «sans avoir la preuve qu’il existe», dit-elle.
Cependant, sur la tombe de son grand-oncle, Murielle Chayer ressent tout de même une émotion. «Je me surprends à lui souhaiter que le paradis auquel il croyait existe et que sa vie et ses sacrifices aient été compensés comme il l’espérait probablement.»
Le balado est disponible gratuitement sur plusieurs plateformes, notamment sur OHdio de Radio-Canada.