La première partie de cette série expliquait ce que sont les reliques et pourquoi des milliers d’entre elles se sont retrouvées au Québec. Bien que le but premier des reliques soit la vénération, ces objets sacrés ont été, et sont encore, au centre d’un trafic très profane.
Ce que dit le droit canonique
La vente des reliques est illégale, selon le droit canon, parce qu’il s’agit de restes humains. D’ailleurs, le Vatican rappelle à intervalle régulier cette interdiction, comme il l’a fait encore récemment en 2017. On peut toutefois, explique Stéphane Martel, directeur adjoint et responsable de la recherche du Site historique Marguerite-Bourgeoys, vendre des reliquaires et «donner» la relique. Le musée Marguerite Bourgeoys vend ainsi des reliquaires dans lesquels se trouve une relique de seconde classe, soit un morceau de tissus ayant touché les ossements de la sainte.
La vente de reliques de première classe peut se faire par des particuliers, plus motivés par le gain que la vénération des fidèles. Il ne s’agit pas là d’une problématique purement canadienne, souligne Caroline Tanguay, directrice du Département des services administratifs aux fabriques de l’Archidiocèse catholique romain de Montréal: plusieurs articles à propos de la vente des reliques ont été publiés en Europe ces dernières années, répétant qu’un reliquaire peut à la limite être vendu, mais pas sa relique. Toutefois, comme le rappelle Michel Dahan, historien et ancien responsable des archives historiques du diocèse de Montréal, le droit canon n’a aucune valeur légale au Canada.
De la vénération aux ventes aux enchères
Le culte des saints remonte à l’Empire romain. Il y a depuis eu un trafic de reliques foisonnant, qui existe encore aujourd’hui selon Stéphane Martel. Ainsi, plusieurs sites web, notamment, mettent des reliques en vente, en toute légalité.
Selon Michel Dahan, «ces ventes sont une conséquence indirecte de la fermeture des églises, des maisons religieuses, de nombreux établissements catholiques à travers le Québec. Dans 99,9 % des cas, ce ne sont pas les communautés religieuses qui vont mettre leurs reliques en vente sur eBay. En général, les reliques vont être données à des tiers et par la suite elles vont se retrouver sur des plateformes de revente ou chez des brocanteurs.»
Enchères Champagne ne nous est pas revenu pour préciser la provenance de leurs reliques mises en ligne en mars dernier, mais elles proviennent probablement, pour la plupart, de communautés religieuses québécoises, note Michel Dahan. Par exemple, l’une portait le sceau de Mgr Bourget, un archevêque de Montréal au XIXe siècle.
Deux vendeurs – le premier sur eBay et la seconde sur Etsy – ont accepté de donner plus de détails sur des reliques qu’ils ont récemment mises aux enchères. Le premier a vendu pour près de 400 $ une relique de sainte Anne présentant les armoiries de l’archidiocèse de Québec. Le vendeur a répondu qu’il l’avait acheté dans un couvent de sœurs du Québec qui fermait ses portes.
La seconde vendeuse a pour sa part indiqué s’en procurer plusieurs grâce à un contact qui a un lien direct avec certaines communautés religieuses à Montréal.
«Notre contact nous a informés que certaines communautés religieuses en vendaient quelques-unes pour obtenir un peu d’argent pour leurs communautés. En principe, elles devraient les remettre à l’archevêché, mais étant donné qu’elles n’obtiennent pas d’argent…»
Le marché états-unien
Ainsi, même si les reliques ne sont pas un produit commercial, elles répondent tout de même dans les faits à la loi de l’offre et la demande. Où se retrouvent ces reliques vendues sur Internet ? Selon Michel Dahan, Caroline Tanguay et une vendeuse sur Etsy, la majorité des reliques et des objets religieux vendus en ligne prennent la route des États-Unis.
En effet, explique Dahan, la demande au Québec est faible pour les reliques. «Il y a une perte de la pratique religieuse et un désintérêt de nombreux catholiques pratiquants envers le culte des reliques, qui a été critiqué par de nombreux prêtres et théologiens québécois à la suite des changements de la période conciliaire. Cela a été vu comme des pratiques de religion populaire. C’était très mal vu à une certaine époque au Québec. Donc, il y a vraiment eu un désintérêt au Québec pour les reliques. Mais aux États-Unis, on a une pratique religieuse qui est plus importante, des constructions d’églises et qui dit construction d’église dit des reliques dans les autels. Aux États-Unis plus qu’ici, il y a un retour à un catholicisme plus traditionnel dans ses formes, comme dans la liturgie et donc on a une place plus grande pour les reliques.»
De plus, explique l’historien, si le code de droit canonique de l’Église condamne la vente des reliques, il ne condamne pas leur achat. Ainsi, certains catholiques pour lesquels le culte des reliques est important vont se faire un devoir de racheter les reliques sur les plateformes comme eBay pour les soustraire à un usage impie et s’assurer qu’elles puissent être honorées de manière appropriée. Reste à savoir comment ces groupes financent l’achat des reliques, dont le prix peut s’élever à plusieurs centaines de dollars chacune.
À l’opposé, certains acheteurs peuvent simplement vouloir ajouter une pièce unique – un morceau d’un saint très connu – à leur collection privée, sans égards à la valeur sacrée de l’objet, décidant alors de comment la relique sera utilisée et qui pourra la voir.
Des reliques et des voleurs
Au-delà de la vente des reliques, ces dernières peuvent parfois circuler par le vol. Par exemple, en 1901, une relique de sainte Anne et une autre petite relique ont été volées chez les dominicains de la paroisse Sainte-Anne. Ce fut aussi le cas du cœur du frère André, le fondateur de l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal, en mars 1973. Une rançon de 50 000 $, jamais payée, avait été réclamée et le cœur avait finalement été retrouvé grâce à un appel anonyme près de deux ans plus tard.
De tels vols de reliques sont plutôt rares de nos jours, explique David Bureau, archiviste du Centre d’archives et de documentation Roland-Gauthier à l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal.
«Dans les années 60-70, c’était probablement plus facile d’entrer dans une communauté, prétextant venir faire des recherches, puis en repartir avec de la correspondance, des objets. Il y avait peut-être un peu moins de surveillance, sans nécessairement que ce soit de la négligence. Aujourd’hui, les communautés sont plus discrètes et les collections sont entre les mains de personnes formées pour en gérer l’accès.
Malgré tout, de tels vols se produisent encore. En 2019, une vingtaine de reliques de saints et bienheureux canadiens ont été volés à la basilique Notre-Dame de Québec. Une relique du cœur de Mgr Dominique Racine, entre autres objets, a aussi été volée en 2021 dans le diocèse de Chicoutimi et elle a probablement été jetée par la suite.
Tant la vente que les vols de reliques sont problématiques. On peut désacraliser un objet de culte, on peut désacraliser une église, explique David Bureau, mais une relique est quelque chose d’humain. Même si on ne croit pas à sa valeur religieuse, il n’en demeure pas moins qu’on est en présence d’un morceau de corps, que l’Église reconnaît appartenir à quelqu’un qui a mené une vie l’ayant conduit à la sainteté. Le fait que des reliques se retrouvent entre des mains qui peuvent en faire un usage irrespectueux devrait interpeller les catholiques.