Dans La Presse du dimanche 12 mars 2023, le journaliste et chroniqueur Patrick Lagacé rapporte que la mère d’une toute jeune enfant décédée il y a neuf ans n’a pu aller se recueillir sur sa tombe le jour de son anniversaire de naissance, le 22 février.
«À 16 h 20, ce jour-là, Geneviève Elie s’est présentée avec ses filles à la guérite [du cimetière Notre-Dame-des-Neiges], sur le chemin de la Côte-des-Neiges. Les portes grillagées étaient fermées. Geneviève a trouvé cela bizarre: c’est ouvert jusqu’à 17 h, d’habitude», a noté Patrick Lagacé.
Un gardien a expliqué à la maman de la défunte Isabelle qu’une grève du personnel était en cours et que «la direction a décidé de fermer le cimetière».
«Je comprends, a répondu Geneviève, mais c’est la fête de ma fille décédée. C’est vraiment important pour nous d’aller se recueillir sur sa tombe». Peine perdue. «Là, Geneviève s’est mise à pleurer», ajoute le journaliste qui indique qu’il aurait bien aimé poser deux questions au sulpicien Miguel Castellanos, le président du conseil d’administration de la Fabrique de la paroisse Notre-Dame de Montréal, propriétaire depuis 169 ans du cimetière Notre-Dame-des-Neiges.
Ces questions sont les suivantes: «Est-ce vraiment nécessaire de punir les familles de défunts pour ce conflit de travail? Quel est le grand danger qui guette les proches endeuillés qui veulent aller se recueillir sur la tombe d’un être aimé et jamais oublié?»
La faute au syndicat
Ni le curé de Notre-Dame Miguel Castellanos, ni l’archevêque de Montréal, Mgr Christian Lépine, n’ont voulu réagir dimanche au drame vécu par Geneviève Elie aux portes du plus grand cimetière catholique au Canada. Mais Daniel Granger, le porte-parole de la fabrique paroissiale, a répondu que «la décision de limiter l’accès au cimetière découle de la décision du syndicat des employés d’opération de déclencher une grève générale illimitée le 12 janvier».
Ce sont ces employés qui, durant l’hiver, effectuent le déneigement des 33 kilomètres de chemins, de petites routes et d’allées que serpentent le vaste terrain dès qu’il y a tempête ou verglas.
«En choisissant de recourir à la grève, ce qui est leur droit, le cimetière anticipait un problème important de sécurité s’il y avait chute de neige ou de verglas, car il n’y a que les cadres qui peuvent légalement effectuer ce travail de déneigement. Or, il y a eu beaucoup de neige depuis cette date ainsi que du verglas.»
Il s’avère donc impossible pour ces cadres de déneiger tous ces chemins et de «les rendre sécuritaires en tout temps». C’est pourquoi seules les familles endeuillées y sont accueillies, «sur rendez-vous, pour une inhumation en mausolée ou pour un service de crémation».
«Le cimetière Notre-Dame-des-Neiges regrette cette décision et les inconvénients qui en découlent pour les familles des défunts», ajoute Daniel Granger.
Lundi matin, la Fabrique de la paroisse Notre-Dame de Montréal a annoncé que l’arrivée d’une température plus clémente allait certainement accélérer l’accès au cimetière pour ceux et celles qui souhaitent venir s’y recueillir, qu’ils soient récemment endeuillés ou non.
«L’arrivée du printemps, l’évolution de la température et la fonte des neiges permettront de déterminer le moment où l’ensemble du site et les 33 kilomètres de chemins qui le parcourent seront devenus sécuritaires pour accueillir les membres des familles des défunts. Dès que ces conditions favorables seront réunies, l’horaire d’ouverture du cimetière sera rendu public», promet-on.
«Une entente de bonne foi entre les parties permettrait aussi la reprise complète des activités», ajoute la partie patronale qui rappelle qu’«aucune inhumation en terrain ne sera possible tant que les employés d’opération poursuivent leur grève».
Une histoire crève-cœur
Patrick Chartrand, le président du Syndicat des travailleuses et des travailleurs du cimetière Notre-Dame-des-Neiges (CSN), a réagi avec beaucoup d’émotion quand il a lu la chronique de Patrick Lagacé. «C’est une histoire crève-cœur. Je trouve vraiment triste que des familles aient à subir de telles émotions», dit celui qui accueille, guide et accompagne dans leur deuil les individus et les familles qui se présentent aux portes de ce cimetière où il travaille depuis trois décennies.
«Nous étions conscients qu’en faisant la grève, certains services seraient affectés». Mais il estime que «le cimetière ne devrait pas être fermé». Lui aussi convient qu’en raison des aléas de la température, «certains coins peuvent devenir inaccessibles». Mais les gardiens de sécurité embauchés durant la grève pourraient bien «accompagner les familles» et leur indiquer les chemins les plus sécuritaires au lieu de leur barrer la route et d’accroître leur peine. «Ça me brise le cœur», répète Patrick Chartrand.
«Fermer le cimetière et nous en faire porter le blâme, alors là je trouve cela trop facile», dit le président syndical, qui rappelle que durant la pandémie, ses collègues et lui n’étaient pas en grève. Ils ont plutôt «travaillé six jours sur sept». Mais durant près d’un an, la direction du cimetière a aussi pris la décision de fermer les clôtures et d’interdire l’accès au site, y compris en été, alors que tout le Québec était en deuil et que Montréal était l’épicentre de la pandémie.
«Franchement, on pourrait trouver des solutions pour permettre l’accès au cimetière», estime le syndicaliste pour qui la grève déclenchée en janvier était «le dernier recours» des employés d’entretien.
«Nous, on souhaite régler en négociant. Si demain matin l’employeur me demande de venir négocier, sachez qu’on ne refusera pas de retourner à la table. Mais on va espérer que l’autre partie voudra négocier de bonne foi. Si c’est le cas, le règlement pourrait être très rapide», promet Patrick Chartrand.
Que la neige soit fondue ou non, les gens pourront alors emprunter de nouveau, et sans restriction aucune, les nombreux chemins du cimetière Notre-Dame-des-Neiges afin d’honorer la mémoire de leurs défunts.
- Patrick Lagacé, Le 12e anniversaire d’Isabelle, La Presse, 12 mars 2023