Le juge Murray Sinclair, qui a présidé la Commission de vérité et réconciliation (CVR) sur les pensionnats autochtones de 2009 à 2015, a réagi aux excuses présentées par le pape la semaine dernière en estimant qu’il était plus que temps que l’Église assume ses responsabilités dans ce dossier.
«Il était temps que l’Église commence à assumer la responsabilité de son rôle dans le système des pensionnats indiens», a-t-il déclaré peu après avoir entendu le pape dire, en italien, qu’il éprouvait «de la douleur et de la honte face au rôle que plusieurs catholiques ont joué dans l’abus et le manque de respect envers l’identité, la culture et même les valeurs spirituelles des peuples autochtones du Canada».
«Pour la conduite déplorable de ces membres de l’Église catholique, je demande le pardon de Dieu et je veux vous dire, de tout mon cœur: je suis vraiment désolé», a ensuite ajouté le pape François.
Pas que pour les Autochtones
Si les excuses prononcées le 1er avril sont importantes pour les peuples autochtones, elles le sont tout aussi pour les «catholiques du monde entier», estime l’ex-sénateur et le président de la CVR.
Les catholiques, croit-il, ont également «subi des préjudices permanents en raison des injustices perpétrées par [leur] Église».
Murray Sinclair, le premier juge autochtone dans l’histoire du Manitoba et le deuxième dans l’histoire du Canada, rappelle d’ailleurs que sa grand-mère était une catholique convaincue.
«Si elle avait été en vie ces dernières années, elle aurait été vraiment blessée par le refus permanent de l’Église de s’excuser et d’assumer la responsabilité de ses actes». Il est tout aussi convaincu qu’elle aurait, aujourd’hui, des «raisons d’être fière».
L’Église sur une meilleure voie
Vendredi, estime celui qui fut sénateur de 2016 à 2021, le pape a remis l’Église «sur une meilleure voie». Il a permis «aux catholiques de revenir à la force de leur foi» puisque «l’espoir, la foi, la justice et la vérité que les survivants recherchent depuis si longtemps sont en effet des valeurs catholiques».
«Le moment est venu de revenir à ces valeurs et d’en tirer les leçons pour avancer ensemble sur le chemin de la réconciliation», dit-il.
Murray Sinclair propose aux autorités catholiques d’aller de l’avant en confrontant les «négationnistes au sein de ses communautés», ceux et celles qui nient encore que les élèves des pensionnats ont subi des abus. Il suggère aussi que le dimanche, à l’église, les catholiques écoutent, tout comme le pape l’a fait à Rome, les témoignages des survivants des pensionnats.
L’appel à l’action 58
Le volumineux rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada contenait 94 appels à l’action, visant majoritairement le gouvernement fédéral. Six appels à l’action concernaient les diverses Églises canadiennes qui ont administré des pensionnats autochtones. Un appel à l’action exigeait que le chef de l’Église catholique lui-même présente des excuses.
Trois Églises canadiennes (unie, presbytérienne, anglicane) avaient déjà présenté leurs regrets et demandé pardon pour leur rôle dans l’administration des pensionnats, et cela bien avant la publication du rapport de la CVR.
Mais, ont amèrement reconnu les trois commissaires de la CVR, «l’Église catholique romaine du Canada ne dispose pas d’un interlocuteur ayant le pouvoir de représenter l’ensemble des nombreux diocèses et ordres religieux qui la composent».
«La présentation d’excuses ou la déclaration de regrets est laissée à l’initiative de chacun. Il en a résulté un fouillis de déclarations dont bon nombre de survivants et de religieux n’auront jamais connaissance», ont-ils écrit dans leur rapport.
C’est pourquoi Murray Sinclair et les deux autres commissaires ont demandé au pape lui-même, dans l’appel à l’action 58, «de présenter, au nom de l’Église catholique romaine, des excuses aux survivants, à leurs familles ainsi qu’aux collectivités concernées pour les mauvais traitements sur les plans spirituel, culturel, émotionnel, physique et sexuel que les enfants des Premières Nations, des Inuits et des Métis ont subis dans les pensionnats dirigés par l’Église catholique».
Excuses en sol canadien
Les auteurs du rapport ont aussi insisté pour «que ces excuses soient présentées par le pape au Canada, dans un délai d’un an suivant la publication du présent rapport». Murray Sinclair a présenté le rapport de la CVR le mardi 15 décembre 2015.
Pour Murray Sinclair, vendredi dernier, l’Église catholique n’a pas entièrement répondu à l’appel à l’action 58.
«Lorsque le pape viendra au Canada cet été, pour visiter nos territoires, tous les survivants pourront enfin entendre ces excuses pour eux-mêmes», a-t-il déclaré après avoir entendu les propos du pape François.