Lors de sa brève visite à Malte, le pape François s’est une fois de plus immiscé dans la question des migrations, rappelant aux habitants du pays la «bonté inhabituelle» pour laquelle ils sont connus, tout en remettant délicatement en question les politiques controversées du gouvernement maltais à l’égard des migrants.
Par Junno Arocho Esteves
Lors de son voyage des 2 et 3 avril, le pape a cherché un équilibre entre approche et reproche.
Faisant preuve d’empathie à l’égard de Malte, il a souligné la nécessité d’un effort collectif de l’Europe pour faire face à la crise migratoire plutôt que de laisser les pays individuels, en particulier ceux qui sont les plus proches de l’Afrique et du Moyen-Orient, en supporter le coût.
«Les migrants doivent toujours être accueillis», a déclaré le pape aux journalistes qui l’accompagnaient lors de son retour à Rome le 3 avril.
«Le problème est que chaque gouvernement doit dire combien il peut en accueillir régulièrement pour y vivre. Cela nécessite un accord entre les pays d’Europe, et tous ne sont pas prêts à accueillir des migrants.»
«On oublie que l’Europe a été faite par les migrants, non? C’est comme ça, mais au moins, ne laissons pas tout le fardeau à ces pays voisins qui sont si généreux, et Malte en fait partie», a-t-il ajouté.
Fort afflux de migrants
En raison de sa proximité avec l’Afrique du Nord, l’archipel méditerranéen a connu un important afflux de migrants arrivant sur ses côtes depuis la Libye ces dernières années.
Les politiques actuelles de l’Union européenne ont laissé Malte et d’autres pays de la ligne de front, comme l’Italie, l’Espagne et la Grèce, livrés à eux-mêmes pour secourir, abriter, vérifier et tenter d’intégrer les migrants.
Toutefois, contrairement à d’autres pays européens, l’augmentation des arrivées a incité les autorités maltaises à rechercher un accord avec la Libye qui permettrait aux garde-côtes libyens d’intercepter et de secourir les migrants en mer et de les renvoyer en Libye, même si les migrants se trouvent dans la zone de recherche et de sauvetage de Malte.
À leur retour en Libye, les réfugiés, y compris les femmes et les enfants, sont souvent envoyés dans des centres de détention où, selon Amnistie Internationale, beaucoup ont été soumis à la torture, ainsi qu’à des abus sexuels et physiques.
Affront à l’humanité
Dans son premier discours à Malte, le pape François s’est adressé aux dirigeants gouvernementaux et civils ainsi qu’aux membres du corps diplomatique le 2 avril, applaudissant les efforts de Malte pour aider les migrants, mais déclarant aussi fermement que toute approche qui dénigre les droits et la dignité des migrants est un affront à Dieu et à l’humanité.
«Les pays civilisés ne peuvent approuver pour leur propre intérêt des accords sordides avec des criminels qui réduisent d’autres êtres humains en esclavage», a déclaré le pape.
Cependant, les migrants vulnérables qui parviennent à atteindre les côtes maltaises ne sont pas mieux lotis, comme l’a déclaré un migrant nigérian, Daniel Jude Oukeguale, au pape François lors de sa visite du 3 avril au laboratoire de la paix Jean XXIII à Hal Far.
Oukeguale a raconté au pape qu’à son arrivée à Malte, lui et d’autres migrants «ont été mis en détention pendant six mois la nuit même où nous avons débarqué».
«J’ai presque perdu la tête», a-t-il dit. «Pourquoi des hommes comme nous nous traitaient-ils comme des criminels et non comme des frères?»
Le pape ému
Le pape a déclaré aux journalistes, lors de son vol de retour à Rome, qu’il avait été ému par les expériences qu’il avait entendues au centre pour migrants et a une fois de plus remis en question la politique controversée de Malte consistant à permettre aux migrants approchant par la mer d’être renvoyés de force en Libye.
Au centre pour migrants, a-t-il déclaré, «les choses que j’ai entendues là-bas sont terribles, la souffrance de ces personnes pour arriver ici; et puis les camps, il y a des camps, qui sont sur la côte libyenne, quand ils sont renvoyés. Cela semble criminel, n’est-ce pas?»
Enfonçant davantage le clou, le pape François a noté que si les réfugiés fuyant la guerre et la violence en Ukraine sont à juste titre accueillis à bras ouverts en Europe, les migrants qui viennent d’autres pays mais sont confrontés aux mêmes difficultés sont traités de manière bien différente.
Tout comme l’Europe fait de la place si généreusement aux Ukrainiens qui frappent à la porte, «il en va de même pour les autres qui viennent de la Méditerranée», a-t-il déclaré.
Coexistence
S’adressant aux dirigeants maltais lors de son premier jour dans leur pays, le pape a tenu à leur rappeler que la langue maltaise, qui est dérivée de l’arabe, témoigne du fait que l’accueil des migrants est un avantage, et non un inconvénient, pour le pays et ses habitants.
La langue maltaise, a-t-il dit, rappelle «la capacité du peuple maltais à générer des formes bénéfiques de coexistence dans une sorte de convivialité des différences».
«C’est ce dont le Moyen-Orient a besoin: Le Liban, la Syrie, le Yémen et d’autres contextes déchirés par les problèmes et la violence», a-t-il déclaré. «Que Malte, cœur de la Méditerranée, continue à faire battre le cœur de l’espérance, du soin de la vie, de l’acceptation des autres, de l’aspiration à la paix, avec l’aide du Dieu dont le nom est paix.»