«J’ai bien peur que mon allocution ne dure que trente secondes. Non, il n’y a pas de femmes dans la gouvernance de l’Église», a lancé la théologienne Solange Lefebvre aux féministes laïques et chrétiennes qui ont participé à un récent colloque sur l’égalité des femmes dans la société et dans l’Église catholique.
Tenu le mercredi 7 décembre 2022 au Séminaire de Québec, ce colloque organisé par le Groupe Femmes, Politique et Démocratie (GFPD), en collaboration avec Femmes et Ministères, a réuni 125 personnes, sur place ainsi qu’en ligne.
Un objectif de cette rencontre était de «diriger les projecteurs sur les revendications féministes dans l’Église catholique en plus de dénoncer les obstacles systémiques au pouvoir des femmes et la discrimination qu’elles subissent encore aujourd’hui et ce, dans l’Église et dans l’État».
Solange Lefebvre, de l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal, a expliqué aux féministes présentes, notamment à celles qui ont quitté l’Église depuis longtemps, que cette institution est un «gros paquebot» où les femmes sont absentes. «On sait que sans elles, la baraque ne tiendrait pas. Mais elles n’y ont aucun pouvoir.» Organigrammes structurels à l’appui, elle a démontré que, tant au Vatican que dans les diocèses ou les paroisses, les femmes laïques ainsi que les religieuses sont reléguées au dernier rang de la pyramide.
Elle rappelle aussi que bien des tentatives de dialogue sur l’égalité des femmes en Église se sont soldées par des échecs. «Depuis, c’est le silence». On assiste à un «verrouillage théologique» devant lequel les évêques, d’ici et d’ailleurs, s’inclinent.
«Zéro courage au sein de l’épiscopat», lance-t-elle en insistant sur chacun des mots.
Le pontificat de Jean-Paul II
La religieuse Gisèle Turcot, une des fondatrices de Femmes et Ministères en 1982, note que des évêques québécois et canadiens ont déjà fait preuve de plus de courage. «En 1982, le mouvement des femmes, y compris dans l’Église, était effervescent. Cette question était prise au sérieux».
La théologienne féministe Denise Couture, professeure titulaire retraitée de l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal, a cru elle aussi dans ces années-là «que l’Église catholique pouvait choisir un modèle d’égalité». Elle se souvient du grand nombre de laïques et de femmes formées dans les facultés de théologie. Il y avait aussi plusieurs femmes agentes de pastorale «qui transformaient l’Église de l’intérieur dans le sens de la dépatriarcaliser, sur le modèle de l’accès des femmes en politique».
Mais le pontificat de Jean-Paul II, ce «héraut du conservatisme», comme le qualifie Pierre Murray, le secrétaire général de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec (AECQ), a bouleversé les relations entre les mouvements de femmes et l’Église catholique. Plus que jamais, la «ligne de parti» devait être observée et les évêques ont dû serrer les rangs.
Jean-Paul II a carrément «rejeté le féminisme», avance de son côté Denise Couture. «Pour lui, les femmes se réalisent uniquement dans leur rôle de mère physique ou spirituelle». Elle explique que ce pape «a pris la décennie des années 1980 pour développer la théologie de la femme. Puis il a pris les années 1990 pour implanter son système politique patriarcal dans l’Église».
«Par coup de force», ajoute-t-elle.
«La grande majorité des catholiques du Québec étaient en désaccord avec cette vision de l’Église et des femmes. Mais le système a été implanté. Le nombre d’agentes de pastorale a diminué drastiquement. Après les années 2000, les rapports de force entre les féministes chrétiennes et les autorités du Vatican ont été bloqués». Pour cette théologienne, «le Vatican a réussi à imposer un patriarcat contemporain comme réponse au féminisme». C’est même le «seul État européen qui l’ait fait».
«Nos évêques sont devenus des exécutants de la politique de Jean-Paul II», déclare à regret Gisèle Turcot, la supérieure générale de l’Institut Notre-Dame du Bon-Conseil de Montréal. Celle qui fut la première femme – et la seule – secrétaire générale de l’Assemblée des évêques du Québec, un poste qu’occupe aujourd’hui Mgr Pierre Murray, déplore qu’«aujourd’hui, on ne peut plus demander aux évêques de discuter avec nous.»
Voyant un signe manifeste de l’absence des femmes dans les structures ecclésiales, une personne en ligne fait alors remarquer que le Réseau des répondantes diocésaines à la condition des femmes au Québec ne compte plus que quatre membres. Il y en avait cinq fois plus il y a vingt ans.
«Mais c’est en train de changer» sous le pape François, espère Mgr Murray. Les réformes de la curie romaine qu’il a proposées font, par exemple, que les directions des dicastères (c’est ainsi qu’on nomme les ministères dans le gouvernement de l’Église catholique) peuvent être confiées à des laïcs, femmes ou hommes, et non plus aux seuls cardinaux. Bien sûr, ces «nominations sont teintées» et cette «machine nomme des semblables». Mais au moins, dit-il, «les femmes ne sont plus discriminées parce qu’elles sont des femmes».
Le prochain synode
Le prochain synode sur la synodalité, cette vaste consultation lancée par le pape François, pourrait-il permettre d’autres avancées sur les questions de l’égalité des femmes et de l’accession des femmes aux ministères ordonnés?
«Pour moi, le patriarcat catholique est un mur de Berlin, à la fois solide et fragile. Il peut tomber à tout moment. Il suffirait simplement que les dirigeants de l’Église romaine acceptent le pluralisme d’idées dans l’Église sur la question des rapports entre hommes et femmes pour que ce mur s’effondre en bonne partie», estime Denise Couture. Néanmoins, synode ou non, elle ne croit pas que dans vingt ans la situation aura changé. «On aura une Église de la base vivante, mais en désaccord avec les impositions du Vatican.
«Le synode offre une opportunité», dit la religieuse féministe Gisèle Turcot qui doute quand même de la possibilité de «porter en si haut lieu nos préoccupations».
Après tout, rappelle encore Solange Lefebvre, durant la préparation locale du synode, les consignes étaient bien strictes. «Pas de votes, pas de propositions, pas de débats. C’est un processus spirituel, pas un espace de prise de décisions». De plus, lors des rencontres synodales de 2023 et 2024, ce seront en majorité des évêques qui réfléchiront à des sujets comme l’égalité dans l’Église et l’accession des femmes aux lieux décisionnels.
Mais «être absent n’aidera en rien», croit de son côté le secrétaire général actuel de l’AECQ. Il a raconté comment, durant la pandémie, les leaders religieux du Québec, qui ne s’estimaient «pas entendus» par le gouvernement de François Legault, ont multiplié les démarches auprès des ministères et des autorités sanitaires afin de faire entendre leurs voix. Il croit à l’importance de travailler avec les communautés locales, d’obtenir leur appui.
Mais c’est là qu’il lance cette affirmation concernant l’Église universelle. «Je ne sais pas comment faire monter ces préoccupations aussi loin.» C’est un «aveu d’impuissance que j’entends ici», lance alors l’animatrice du panel, la journaliste Françoise Guénette.
C’est que l’Église n’est pas une démocratie. «C’est un pouvoir monocéphale», tranche la professeure titulaire au département de sciences des religions à l’UQAM Marie-Andrée Roy, une des panélistes au colloque de mercredi. «Mais comment peut-on même imaginer un synode en notre absence?», s’indigne cette membre fondatrice de L’autre Parole.
L’ex-députée Marie Malavoy, aussi panéliste, a alors proposé une grille d’action aux personnes présentes. Les féministes chrétiennes, en vue de ce synode, mais dans leurs luttes pour faire avancer l’égalité des femmes dans l’Église catholique, devraient «mobiliser» un grand nombre de personnes sur des questions communes, accroître et démontrer leur «expertise» sur des enjeux précis et faire connaître leur «scandalisation» ou leur indignation sur le sort qui leur est réservé.
Elle se dit convaincue que «si l’Église ouvrait enfin ses portes aux femmes, c’est toute la société qui en profiterait».
«Il ne faut pas démissionner», a ajouté la supérieure Gisèle Turcot. «Il nous faut continuer à pratiquer des formes de résistance.» Puis elle lance aux féministes chrétiennes présentes dans la salle: «Dites à vos évêques qu’ils acceptent de rencontrer les femmes et d’écouter leurs préoccupations.» Qui sait? Ils trouveront peut-être le courage de les appuyer et de les défendre lors du prochain synode?