La Loi sur la laïcité de l’État, adoptée le 16 juin 2019 par le Parlement du Québec, voulait assurer l’égalité de tous les citoyens, ont répété bien des politiciens. Mais selon un rapport de recherche que vient de rendre public le Centre Justice et foi, cette loi, longtemps appelée «projet de loi no 21», a plutôt créé «deux classes de citoyens et de citoyennes», tout «en normalisant une certaine haine, un sentiment de méfiance et des mesures discriminatoires» à l’égard des femmes musulmanes.
Récipiendaire de la bourse Bertrand 2020-2021 du Centre justice et foi, la chercheuse Geneviève Mercier-Dalphond a voulu comprendre quels étaient les impacts à court et à long terme de la Loi sur la laïcité de l’État sur les femmes musulmanes.
Entre septembre 2020 et janvier 2021, cette doctorante en études islamiques et de genre (Université de Londres) a mené des entrevues individuelles d’une trentaine de minutes auprès de 23 femmes et de deux hommes. Vingt-quatre des répondants étaient de confession musulmane tandis que 19 femmes interrogées portaient un signe religieux visible.
Dix répondantes étaient des enseignantes ou encore des étudiantes en éducation alors que quatre d’entre elles étaient avocates ou étudiantes en droit. Ces dernières précisions sur le statut professionnel des répondantes au questionnaire de la chercheuse Mercier-Dalphond sont importantes parce que la Loi sur la laïcité de l’État interdit spécifiquement à certaines personnes en position d’autorité de porter des signes religieux durant l’exercice de leurs fonctions. C’est notamment le cas des enseignants, des agents de la paix, des procureurs de la Couronne et des juges de nomination québécoise.
Résultats
Parmi les personnes répondantes, 14 femmes ont exprimé «le besoin ou le désir de quitter le Québec afin de pratiquer leur emploi tout en respectant leur conviction en matière de liberté de religion». De plus, huit femmes ont préféré changer d’emploi ou ont carrément modifié leur programme d’étude après l’adoption du projet de loi no 21.
L’auteure du rapport de recherche note aussi que les cinq enseignantes qui portaient un signe religieux et qui étaient en poste avant le 27 mars 2019 n’ont pas perdu leur droit d’enseigner puisqu’un «droit acquis» était prévu dans le projet de loi. «Elles sont cependant cantonnées et limitées dans leurs choix professionnels», explique la chercheuse, parce que la «clause grand-père» est valable tant et aussi longtemps que la personne occupe les mêmes fonctions et qu’elle travaille pour la même organisation. Bref, si on change de Centre de services scolaire ou si on accède à un poste de direction, on perd aussitôt le droit de porter un signe religieux.
Les étudiantes en éducation «ne sont pas ‘protégées’ par cette clause», précise le rapport de recherche. Elles doivent «chercher un emploi au privé» ou postuler à l’extérieur du Québec.
Par ailleurs, les quatre avocates et étudiantes en droit qui portaient un signe visible sont bien obligées de reconnaître qu’elles ne peuvent plus espérer devenir juges ou être engagées comme procureures de la Couronne. «L’impossibilité de progresser dans leur profession selon leur compétence et leur ambition a entraîné de la frustration et de l’insécurité quant à leur avenir au Québec», écrit Geneviève Mercier-Dalphond.
La chercheuse observe que durant toutes les entrevues qu’elle a menées, «aucune des répondantes n’a soulevé la possibilité d’enlever son signe religieux en vue d’adopter le code vestimentaire imposé implicitement par la Loi sur la laïcité de l’État».
Elles ont plutôt fait état de «mesures de contournement de la loi, comme chercher du travail dans d’autres milieux afin de travailler tout en respectant leurs croyances». Des étudiantes en éducation ont préféré «s’orienter dans des domaines d’enseignement qui n’étaient pas encore touchés par la loi, comme les programmes d’éducation spécialisée ou d’assistance en éducation». D’autres ont même décidé d’entreprendre des études supérieures «tout en caressant l’espoir que la loi soit invalidée d’ici leur collation des grades».
Méfiance et haine
Sans surprise, le rapport de recherche note que «les débats sociaux polarisés et stigmatisants sur la question de la laïcité et du port des signes religieux se sont transposés dans les écoles» et ont parfois engendré un «climat de travail difficile et toxique».
«Les enseignantes portant le hijab ont mentionné avoir ressenti de la méfiance de quelques parents d’élèves ainsi que de leurs collègues.» Dans certains cas, on a même douté de leur loyauté ou de leur compétence.
Des femmes musulmanes ont dit avoir «été publiquement attaquées ou insultées» sur les réseaux sociaux lorsqu’elles osaient critiquer le projet de loi no 21. «Elles ont été traitées de ‘vendues’, de ‘mauvaises Québécoises’ et elles ont été encouragées à ‘retourner dans leur pays’.
Si l’un des objectifs du projet de loi no 21, devenu la Loi sur la laïcité de l’État, était d’assurer l’égalité de tous les citoyens du Québec, elle a plutôt «pavé la voie à des processus d’exclusion et à des reculs démocratiques», écrit le rapport de recherche rédigé par Geneviève Mercier-Dalphond, doctorante en études islamiques et de genre à la School of Oriental and African Studies de l’Université de Londres (Angleterre) et récipiendaire de la bourse Bertrand 2020-2021 du Centre justice et foi.
Son rapport de recherche intitulé Loi sur la laïcité de l’État: quelles conséquences sur les personnes de confession musulmane au Québec? est disponible au Centre justice et foi de Montréal. La chercheuse Mercier-Dalphond travaille aujourd’hui auprès de la Fondation canadienne des relations sociales, l’organisme où œuvrait jusqu’à récemment Amira Elghawaby, la première représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie.