Le projet de loi 21, devenu après son adoption par l’Assemblée nationale la Loi sur la laïcité de l’État, «est associé à des valeurs nobles, centrales même à la démocratie», rappelle Miriam Taylor, la directrice des publications et des partenariats au sein de l’Association d’études canadiennes (AEC). Elle mentionne des valeurs comme la neutralité, l’égalité et l’harmonie sociale.
Mais dans une étude qu’elle a dirigée et dont elle vient de publier les résultats, la chercheuse constate que ces valeurs ne «tiennent pas la route» devant la discrimination et le harcèlement que disent avoir subi de nombreux musulmans, juifs et sikhs du Québec depuis l’adoption de la loi en 2019.
Qualifiée de «plus vaste étude menée auprès des communautés religieuses minoritaires touchées par le projet de loi 21», l’enquête conjointe dirigée par la firme Léger Marketing et l’AEC a sondé 1828 Québécois, dont 632 musulmans, 165 juifs et 56 sikhs.
Cette étude donne, en un peu plus de cent pages, un aperçu des perceptions des Québécois à l’égard des religions. Elle cherche aussi «à mesurer les impacts de la loi sur les communautés religieuses concernées, notamment leur vécu en ce qui concerne les préjugés, la discrimination, l’acceptation, l’exposition à la haine, la sécurité, l’engagement citoyen, l’épanouissement, le bien-être et l’espoir pour l’avenir de leurs enfants».
Constats
«Les Québécois nous ont avoué qu’ils ont assez peu de contacts avec les minorités religieuses», résume d’abord Miriam Taylor.
Alors que la Loi sur la laïcité de l’État prétend placer toutes les religions sur un pied d’égalité, les Québécois ont exprimé, dans ce sondage, des opinions négatives envers les juifs, les sikhs et les musulmans, ainsi qu’envers les vêtements que certains membres de ces communautés portent. «Les Québécois avouent avoir une opinion négative du turban, de l’islam et du hijab à des taux dépassant 50%», fait ressortir cette étude.
«Cette négativité est amplifiée chez les partisans convaincus de la Loi 21», dit encore la directrice de l’AEC, «alors que la courbe de négativité s’aplatit chez les opposants à la loi».
«C’est sidérant de penser que 78 % des gens qui appuient fortement la Loi 21 avouent avoir une opinion négative du hijab. C’est énorme», lâche-t-elle. Depuis l’adoption de la loi, c’est comme si «on avait permis aux Québécois de penser qu’il n’y a pas de légitimité à l’identité religieuse». Les membres des communautés religieuses minoritaires, «on peut les dénigrer, les mépriser, les inviter à retourner chez eux…»
Discrimination et inégalité
Les résultats du sondage mené par Léger et l’AEC montrent que pour la plupart des membres des communautés religieuses minoritaires interrogés, la vie au Québec depuis l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État «est nettement moins paisible et moins harmonieuse». Le rapport mentionne même des «impacts négatifs de grande ampleur, perturbateurs et graves».
Chez les répondants musulmans, la moitié des hommes et plus des deux tiers des femmes disent «avoir été confrontés à des incidents et crimes haineux et se sentent nettement moins en sécurité qu’il y a trois ans».
De plus «deux tiers des hommes musulmans estiment que leur sentiment d’être accepté s’est détérioré» depuis la promulgation de la loi. «Presque autant de femmes (57%) signalent une nette détérioration de leur acceptation, la dégradation totale dépassant 80%», indique la recherche.
L’étude révèle une autre donnée troublante concernant les niveaux d’exposition aux incidents et aux crimes haineux chez les musulmans. Ces attaques «dirigées contre leur identité» représenteraient «presque le triple de ceux observés au sein de la population en général et presque le double de ceux vécus par les Québécois des minorités visibles».
«Enlève ce truc-là de ta tête», a-t-on lancé à une musulmane. «Le hijab de mon amie a été arraché dans le métro», raconte une autre. L’harmonie sociale, promue à l’origine par les promoteurs du projet de loi 21, ne s’est pas concrétisée avec l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État.
Pire, estime la recherche, si le projet de loi 21 visait à définir «des règles de bonne citoyenneté», il faut aujourd’hui reconnaître que les musulmans «sont beaucoup moins disposés à s’engager dans le processus social et politique».
De plus, «une réflexion s’impose sur le fait qu’une loi conçue pour promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes semble miner la volonté de certaines femmes québécoises de participer au processus démocratique.»
Sikhs et juifs
La recherche examine aussi les perceptions des citoyens juifs et sikhs depuis l’adoption du projet de loi 21.
Des membres de la communauté juive mentionnent avoir subi des discriminations en raison de leur appartenance religieuse.
Un répondant raconte que son employeur lui a demandé d’enlever sa kippa «alors que je travaillais comme étudiant en aumônerie multiconfessionnelle». Trois répondants sur cinq estiment même que, depuis trois ans, leur sentiment d’être accepté comme membre à part entière de la société québécoise s’est détérioré. «Je me suis senti discriminé ou exclu par des commentaires, des déclarations ou des mesures mises en place par des représentants du gouvernement québécois», ont déclaré 62 % des répondants.
«Trois quarts des femmes sikhes et plus de 80% des hommes sikhs signalent une détérioration de leur sentiment d’acceptation au sein de la société québécoise», indique le rapport Léger-AEC.
Identités religieuses
Depuis sa promulgation, la Loi sur la laïcité de l’État aura porté un dur coup à l’identité d’un bon nombre de citoyens et miné leur engagement au sein de la société québécoise, révèle cette étude. Loin d’unir les Québécois, elle favoriserait leur division, indiquent les personnes qui ont répondu au sondage Léger-AEC.
«Perpétuer un environnement inhospitalier aux identités religieuses épousées par les Québécois se révèle dangereux et contre-productif pour les personnes concernées», conclut donc la recherche. C’est aussi «dommageable pour notre société dans son ensemble, en créant de la souffrance et en minant le potentiel de nos concitoyens et concitoyennes».